URSS -La justice des camarades...
Le retentissant procès qui s'est déroulé dernièrement à Moscou et où des places avaient été obligeamment réservées, au banc des accusés, à M. Poincaré, au maréchal Pétain et autres personnalités, a attiré l'attention sur la justice en U.R.S.S.
Ce qui donna la victoire aux bolchevistes sur le gouvernement provisoire, c'est qu'ils avaient un programme, tandis que Kerensky n'en avait pas et flottait au gré des courants.
L’ URSS innove !
Application des nouvelles théories économiques et politiques
Mais si les nouveaux maîtres de la Russie appliquèrent leurs théories économiques et politiques avec une obstination, une ténacité de maniaques, ils se trouvèrent fort embarrassés pour régler une question qu'ils n'avaient pas prévue : celle de la Justice.
La conception matérialiste de Karl Marx, ce messie du socialisme, ne reconnaît pas, on le sait, l'existence d'idées, de principes abstraits :
Justice, Droit, Religion, autant d'attrape-nigauds, ou, selon l'expression consacrée : de superstructures sur les fondations économiques. Que le système économique change, et ces édifices en carton-pâte s'écroulent aussitôt. Après avoir bafoué la justice « bourgeoise », cette arme servant à opprimer le prolétariat, les bolchevistes, une fois au pouvoir, se virent obligés de faire face aux devoirs qui incombent à tout gouvernement, à tout pouvoir, fût-il celui des camarades.
le bonheur marxiste, oui mais il n’a pas supprimer pour autant les différents, le vol, les rapines et le meurtre,
Malgré les formidables bouleversements politiques qui s'étaient succédé depuis huit mois, la vie suivait son cours, avec ses joies, ses peines, ses misères ; on naissait et on mourait, on se mariait et on divorçait, on volait et on assassinait. Il fallait donc protéger les uns, punir les autres, trancher des différends, bref, exercer la justice. Situation difficile, paradoxale même pour des marxistes bon teint ! On en discuta à perte d'haleine, l'idée de « sauver la face », de supprimer toute justice, tous juges, tous tribunaux, fut même sérieusement agitée dans la presse soviétique. Pourtant, Lénine et ses acolytes se résignèrent finalement à donner une entorse au marxisme ; on en avait donné bien d'autres !
Tribunaux du peuple, tribunaux révolutionnaires
Ainsi, c'est la loi des suspects dans tout son sanglant cynisme. Point n'est besoin de commettre un crime, c'est-à-dire de ne pas payer ses impôts à temps, de déblatérer contre les Soviets, de refuser à entrer dans un « Kolkhoz », d'écrire une lettre à un ami à l'étranger ; il suffit d'être soupçonné de pouvoir accomplir un de ces forfaits pour être collé au mur.
Et, ne l'oublions pas, ce code de sang est également applicable dans toutes ses dispositions aux étrangers qui ont prudence de se fourrer dans le guêpier soviétique : les articles 70 et 71 le spécifient expressément. Un Français, un Anglais, un Italien, voyageant en Russie pour ses affaires ou son plaisir, peut être coffré, condamné et fusillé, non seulement pour avoir correspondu avec ses amis de Paris, Londres ou Rome, mais simplement pour avoir été soupçonné de pouvoir le faire. Et aucun recours n'est possible aux ressortissants des puissances qui ont reconnu les Soviets et, par conséquent, toute leur législation ; aucune chance ne leur reste d'échapper aux bourreaux bolchevistes, si ce n'est la fuite, comme l'a fait, il y a quelques jours, cet ingénieur anglais qu'on a trouvé agrippé à l'essieu d'un wagon du train venant de Moscou.
S’il existe une spécialité ou les bolcheviks sont passés maître, c’est bien la propagande. La parole, la presse, la peinture, le théâtre, la littérature tout est mobilisé en URSS pour répandre la bonne parole marxiste.
En parlant du cinéma soviétique, il serait injuste de passer sous silence les remarquables films documentaires, réalisés dernièrement. Des hommes de talent, dévoués à leur art, ont réussi à saisir la vie mystérieuse de la Taïga sibérienne (Le long de l'Altaï du Nord) ; à fixer les moeurs des peuplades inconnues (Une peuplade perdue, film sur la Karagassia), à montrer ce que l'homme peut obtenir, dans sa lutte contre la forêt (Tac jnik), et dans l'élevage des animaux de l'Extrême- Nord (Le Renne, l'Elevage du Renne). Parfois, le sujet est légèrement romantisé, dans l'esprit de « Tchang » ou de « Moana » ; et alors, nous avons le beau film d'lgdenbou, joué par les naturels de l'Extrême-Orient sibérien. On ne peut s'empêcher de s'incliner devant le courage de ces metteurs en scène, obligés de travailler sous la férule des camarades, dans des conditions matérielles et morales les plus pénibles.
Le film soviétique souffre certainement des défauts communs à toute l'industrie socialisée : désordre, bureaucratie, mauvais rendement, exploitation déficitaire. Des négatifs de nouveaux films disparaissent mystérieusement, perdus dans les innombrables bureaux du Soïouzkino; des metteurs en scène reçoivent des tronçons de pellicules qu'ils n'ont jamais tournées et dont on est obligé de rechercher les propriétaires par voie, des journaux ; il se produit un gâchis, une perte de métrage, des dépenses inutiles que les journaux soviétiques ne cessent de dénoncer. Et pourtant, reconnaissons-le, même dans ces conditions désastreuses, certains résultats, obtenus en, Russie dans l’industrie cinématographique, sont des fils intéressants.
Que restera-t-il du film soviétique lorsque la sanglante tyrannie bolchevique ne sera plus qu’un mauvais rêve ? Quelques pellicules de propagande que l’on montrera encore dans une centaine d’années, à titre de curiosité historique.....
Textes choisis et aménagés par Jean Aikhenbaum
Sources : Je suis partout 1931