Note de service du 18 juillet 1942 (sur laquelle est apposée la mention CONFIDENTIEL)
Cette note adressée aux commissaires stipule que les 19, 20, 21 et 22 juillet 1942 deux mille israélites (hommes, femmes et
enfants) seront transférés du Vélodrome d’hiver dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. Il ne sera pas établi de liste.
Note de service du 18 juillet 1942 (sur laquelle est apposée la mention CONFIDENTIEL)
Dimanche 19 juillet 1942, un train emmenant 1000 israélites partira à 8 heures 55 de la Gare de Bourget-Drancy à destination de la
frontière...
Note de service du commissaire général aux Questions juives -
9 septembre 1942
Le commissaire général a remarqué que dans la correspondance de
certains services, les juifs étaient dénommés « israélites ». Au commissariat général aux Questions juives, un juif doit être appelé un juif, et on ne doit pas écrire M. Lévy ou M.
Dreyfus, mais le Juif Lévy ou le Juif Dreyfus. Le terme israélite ne sera employé que du point de vue religieux....
Consignes pour les équipes chargées des arrestations - 11 septembre 1942 (sur cette note figure la mention secret).
1°) Les gardiens après avoir vérifié l’identité des juifs qu’ils ont mission d’arrêter, n’auront pas à discuter les différentes
observations qui peuvent être formulées par eux.
..........Seul le Commissaire de la Voie Publique est qualifié pour examiner les situations......
2°) Ils n’auront pas à discuter sur l’état de santé. Tout juif arrêté devra être
conduit au poste de police....
3°) Les agents chargés de l’arrestation s’assureront, lorsque tous les occupants du logement sont à emmener que les
compteurs.....Les animaux seront confiés au concierge.
6°) Les enfants vivant avec la ou les personnes arrêtées seront emmenés en même
temps, si aucun membre de la famille ne
reste dans le logement
7°) Les gardiens seront responsables de l’exécution. Les opérations devront être effectuées avec le maximum de rapidité, sans
parole inutile et sans aucun commentaire.
transfèrement des détenus juifs
note du 3 novembre 1942 réf : 1er Bureau n° 1613/B
Les 4, 6 et 9 novembre 1942, à 8 heures 55, un train de 1000 juifs partira de la gare du Bourget-Drancy. L’embarquement de ces
juifs aura lieu la veille des départs, c’est-à-dire les 3, 5 et 8 novembre entre 14 heures et 17 heures,
M. le Cre divisionnaire, chef de la
3ème division, assisté d’un Cre de V.P et d’une Cre de Banlieue (si besoin est) de la Division assurera les
transfèrements et embarquements de ces juifs. A cet effet, il disposera à la gare une surveillance ainsi qu’aux abords du Camp, afin d’éviter toute évasion.
.....
Il s’assurera que les wagons couverts auront été fermés et plombés par la S.N.C.F ...... (signé Hennequin)
Art. 1 - par mesure de sécurité
intérieure tout étranger autorisé à séjourner en France, considéré comme Juif. (...) est astreint à résidence sur le territoire de sa commune...
....
Art.1- Toute personne de race juive
aux termes de la loi du 2 juin 1941 est tenue de se présenter, dans un délai d’un mois à compter de la promulgation de la présente loi, au commissariat de police de sa résidence ou à défaut à la
brigade de gendarmerie pour faire apposer la mention «Juif» sur sa carte d’identité(...) et sur la carte individuelle d’alimentation.
etc.
L’homme est un produit fort singulier du processus évolutif. Il reçoit et transmet non pas une mais deux hérédités, l’une
biologique, l’autre culturelle. Théodosius Dobzhinski
De nombreux travaux ont été faits depuis la fin de la dernière guerre sur les séquelles et les problèmes qui découlent des
persécutions. Aujourd’hui, de nombreuses publications scientifiques en font état. Les juifs, tziganes et autres rescapés persécutés au cours
de la seconde guerre ont du faire face à des difficultés existentielles handicapantes tout au long de leur existence. Les enfants Juifs ont connu à travers leur clandestinité un destin tragique,
où le stress et l’angoisse étaient très souvent leur lot quotidien. Celui-ci a, à plus d’un titre, affecté leur comportement et marqué leur adolescence et leur vie d’adulte. Les problèmes
rencontrés ainsi que nous allons le voir ci-dessous sont de plusieurs ordres.
Le Dr Minkowski, psychopathologiste, qui a examiné dans les années d’après guerre de nombreux rescapés, rapporte «que nous pouvons considérer comme acquis, qu’il existe une pathologie spécifique des anciens déportés et victimes des persécutions. Cela se comprend du
reste, compte tenu des épreuves auxquelles ont été soumis pendant des années, tant sur le plan somatique que physique et moral, l’organisme et la personnalité humaine. (...) La
spécificité des troubles neuro-psychopathiques consécutifs aux persécutions se traduit par un syndrome particulier(...) ».
Ce même médecin souligne que ce type d’épreuves débouche immanquablement sur des psychopathologies bien spécifiques. Dans son
rapport présenté à la 5èmeassemblée des médecins en Israël en
août 1961 à Haïfa, il rapporte que les survivants qui ont vécu dans la clandestinité sont atteints de divers troubles :
-
anxiété permanente
-
dysfonctionnement des glandes endocrines
-
anesthésie affective
-
prédisposition à la dystonie neurovégétative et aux psychoses endogènes etc.
Ce qu’il est également intéressant de noter, c’est que ce travail fait ressortir, que les victimes n’entrent pas dans les
conceptions, critères définis par la psychiatrie habituelle. Ce qui a eu pour effet de remettre en cause les diagnostics formulés
jusqu’alors.
D’un point de vue concret, les troubles vécus par les survivants sont divers. Le docteur Minkowski parle de «dépression
réactionnelle chronique ». Ces termes sont de son avis schématiques, négligent les détails et c’est justement dans ces détails que résident l’aspect le plus important des troubles. Il note
également «que l’irritabilité extrêmement accusée chez les anciennes victimes de persécutions, se manifeste à tout bout de champ, pour un rien,
vient perturber sérieusement leur vie de famille, de même que leurs relations journalières avec leurs semblables(...) ». Dans ce même texte nous trouvons un peu plus loin, «Non pas
tant agressivité, qu’une excitabilité extrême de la réactivité générale du système nerveux, échappant ainsi au contrôle de la personne(...) nous nous trouvons en présence d’une modification,
d’une détérioration de la personne humaine(...) mais, si on se penche humainement sur cette souffrance, elle devient à tel point proche et compréhensible que, pour ma part, je l’avoue, j’éprouve
quelque résistance à la coiffer d’un terme clinique...
L’anxiété, quant à elle est
constante, elle s’accompagne de peurs et d’inquiétudes immotivées, sentiment d’insécurité(...) anxiété à la vue d’hommes en uniformes(...) pour compléter le tableau clinique, énumérons les
symptômes suivants de nature plus banale : impressionnabilité au moindre bruit, des pas entendus dans l’escalier qui déterminent l’image d’une arrestation, troubles de la série
neurovégétative au sens strict du terme, palpitations, sentiments d’étouffement, transpiration, tremblements, états nauséeux, troubles digestifs, céphalées etc. ; dysmnésie marquée de
fixation et d’évocation, trous de mémoire, oublis, distractions, déficience de la faculté de concentration ; on n’est pas à ce que l’on fait ; en cours d’accomplissement d’une
action ;oubli de ce à quoi elle était destinée, etc. ;lassitude, affaissement général, fatigabilité physique et intellectuelle. Tel est dans des grandes lignes le syndrome des victimes
du nazisme avec les particularités qui lui sont propres, qui font aussi que les cadres de la clinique courante ne lui conviennent point
».
Si nous avons choisi de nous référer à un travail fait il y a une quarantaine d’années, c’est tout d’abord pour rendre hommage au
docteur Minkowski. Celui-ci a été l’un des premiers à démontrer la spécificité des traumatismes des victimes des persécutions nazies. Le particularisme de son dossier, déjà à cette époque, faisait ressortir que les conséquences risquaient de toucher également les
enfants des rescapés, notamment lorsqu’il cite les propos de l’un de ses patients : « tout va à nouveau recommencer, mes enfants
n’échapperont pas au sort qui fut le mien ».
Ces problèmes préoccupaient d’autres spécialistes. « L’union Mondiale O.S.E » tenait les 20 et 21 juin 1961 un colloque sur les « Conséquences pathologiques tardives chez les victimes juives du nazisme ».
Parmi les sujets traités par d’éminents spécialistes nous trouvons :
-
Influences des traumatismes, des intempéries et des carences d’apport alimentaire comme cause déclenchante ou aggravante des
maladies ostéo-articulaires et vertébrales » (Prof. S. de Sèze).
-
Système nerveux et ulcère gastro-duodénal (Prof. R. Cattan)
-
Les expertises chez les victimes juives du nazisme (Dr.I. Simon)
-
Incidence et évolution des affections allergiques chez les anciennes victimes des déportations et des persécutions raciales (Prof.
B. Halpern)
-
Séquelles tardives de la pathologie respiratoire (Prof. B. Kreis)
-
Considérations sur les séquelles tardives cardio-vasculaires chez les victimes juives du nazisme.
-
Les séquelles tardives des troubles hormonaux chez les victimes juives du nazisme (Mme F. Kreis de Mayo)
-
Les séquelles oto-rhino-laryngologiste des persécutions raciales (Dr P.L Klots)
-
Les fonctions génitales et les équilibres neuro-endocriniens génitaux et para-génitaux chez les victimes du nazisme.
(Prof. M. Mayer)
-
Carences vitaminiques et séquelles oculaires chez les victimes juives du nazisme (Dr J. Mawas)
-
Les syndromes psychopathologiques chez les victimes des persécutions de la dernière guerre (Prof. H. Baruk)
-
Les troubles neurovégétatifs réactionnels chez les victimes juives du nazisme. (Dr.
I. Simon)
Les travaux faits aujourd’hui par de nombreuses équipes de recherche indépendantes confirment les observations faites dans les
années d’après-guerre. De plus, les observations se sont affinées et ont permis de souligner divers paramètres non pris en compte à l’époque, en
raison du manque de recul. Ainsi, aujourd’hui l’accent est mis non seulement sur les séquelles directes qui frappent les victimes, mais également sur les conséquences qui touchent les première,
seconde et troisième générations.
Les facteurs qui multiplient les risques de voir se développer des séquelles liées aux événements traumatisants de la seconde
guerre, font désormais l’objet d’une appellation spécifique. Les spécialistes codifient ce type de pathologie sous le sigle PTSD (posttraumatic stress disorder). Cette étude fait ressortir
que la vulnérabilité au PTSD, touche également la famille, les enfants et d’une manière générale les proches des victimes.
Une autre étude publiée par Psychoanalytic review : fait apparaître, que non seulement les victimes directes des agissements criminels
en subissent tout au long de leur vie les conséquences, mais que celles-ci se transmettent à leurs enfants. Pour résumé la situation, cet auteur s’exprime ainsi :
« Les jeunes des 2ème et
3èmegénérations sont à la recherche d’un équilibre qui
tient compte de leur éducation. Ils tentent de régler leur problème en fonction de leur propre personnalité et à travers les épreuves subies par leurs parents de façonner leur identité. Le dilemme dans lequel se trouvent ces générations consiste à tourner autour de la souffrance de leurs
parents et les pousse à tenter de rechercher un compromis, qui consiste à approcher cette souffrance
tout en l’évitant ».
Les 2èmeet 3ème générations sont également plus préoccupées que les groupes témoins (Juifs et non Juifs) par les injustices sociales et
politiques. Ainsi, cet auteur fait remarquer « que pour les jeunes de la 3èmegénération, l’identité juive et la réussite de leur vie passe par le legs de
l’Holocauste».
Les personnes qui étaient enfants pendant la période de l’Holocauste et qui ont été confrontées à des persécutions ont subi des
traumatismes graves. L’origine est d’avoir ressenti la fragilité de leur existence et de celle de leurs proches. Ces victimes font une « intériorisation conflictuelle » qui conditionne leur existence ou l’idée de la mort est omniprésente.
Les auteurs de cet article soulignent que ces perturbations sont
permanentes et font partie de leur personnalité. Pendant trois années, des survivants ont participé à des thérapies de groupe. Leurs perturbations
s’exprimaient de différentes façons : par des prédispositions à des tentatives de suicide, des difficultés à assumer leur présence au sein du groupe et par des manifestations de colère
violentes contre les thérapeutes. Ces problèmes ont perduré malgré et au delà de la thérapie. Le syndrome appelé « Countertransference » est un autre symptôme observé par ces auteurs, il est en liaison directe avec l’Holocauste. Il se manifeste par de
l’anxiété, des crises de colère, par le rejet de la thérapie de groupe, le refus et l’incapacité
d’exprimer le mal être. Malgré leurs difficultés à mener à bien les séances de thérapie, les auteurs pensent que ce type de traitement doit être proposé dans les pathologies traumatiques
d’origine humaine.
Comme le démontre cette dernière étude, de nombreux enfants Juifs rescapés ont, après-guerre, occulté cette période, à tel point
que bon nombre d’entre eux, même devenus adultes, ne l’évoquent qu’avec beaucoup de réticence, (les spécialistes parlent d’amnésie de protection).
Chez les adultes, les phénomènes inverses s’observent, les victimes évoquent fréquemment leur passé douloureux avec un souci exagéré du détail (hypermnésie).
Les traumatismes laissés par ces épreuves sont gérés tant bien que mal de façon individuelle. Pour survivre, les enfants
Juifs pourchassés ont dû, par obligation changer de nom, de prénom. Chez les survivants Juifs de la première génération après-guerre, le rejet de
l’identité juive a continué à se manifester. On a pu constater de nombreux abandons de patronyme que plus rien ne justifiait. Vouloir passer
inaperçu, devenir anonyme, refuser « le fardeau » d’une identité culturelle pesante, abandonner les traditions religieuses, ne plus être identifiable en tant que Juif, sont autant de
moyens employés par les survivants de la Shoah pour fuir leur passé douloureux. La guerre a non seulement laissé des traumatismes physiques et
psychologiques, mais a également spolié la première génération au moins en partie, des valeurs du judaïsme.
Ce dossier a été réalisé par Jean Aikhenbaum
avec le concours de Messieurs Gilbert Schwarcz, Piotr Daszkiewicz
Archives du Musée de la Préfecture de Police de
Paris
Community healing for children
traumatized by war – Ayalon-Ofra - International-Review-of-Psychiatry.Aug. ;1998 10 (3)
224-233
Daszkiewicz P. - Aikhenbaum J. « Aurochs, le retour...d’une supercherie
nazie » Histoire Sciences, Totalitarisme, Ethique et Société
Klarsfeld Serge : « La France et la question juive 1940
– 1944 » C.D.J.C
Les Cahiers de la médecine hébraïque
MEDLINE Bases de
données
Poliakov L. « Bréviaire de la haine - le 3ème Reich et les
Juifs » - Agora Editions Calmann-Lévy
Saigh Philip A ; Fazirbank John A ;Yasik Anastasia E « War-related posttraumatic stress disorder among children and adolescents », International Universities Press Stress and Health series
Monograph ;
Thuillier P. Les passions du savoir - essais sur les dimensions culturelles de la science - Fayard
Weisberg
Richard, - « B Vichy Law and the Holocaust in France »
WinockMichel - « Le Siècle des Intellectuels » - Points Editions du Seuil
Yehuda R. Canadian Journal of Psychiatry - Revue canadienne de psychiatrie. 44(1) :34-9 199 Feb.
Countertransference and
life-and-death issues in group psychotherapy with child Holocaust survivors (source Am.J Psychoter. 52(3) :301-12, 1998 Summer.)