1930 La Finlande : Le conflit avec la Russie
Comme en 1930, quand Litvinof protestait contre les expulsions de communistes finlandais « voiturés » à la frontière par les paysans de Lapua, un nouvel échanges de notes avec Moscou vient d'avoir lieu.
Dialogue symbolique où le plus fort s'irrite avec aigreur et menace, où le plus faible, qui a eu le courage de commencer, garde un ton modéré et ne s'embarrasse pas de diversions cyniques.
La note finlandaise remise le 16 mai à Moscou rappelle les déclarations solennelles des délégués russes à la paix de Dorpat (octobre 1920) sur les droits et libertés culturelles dont jouiraient les populations finnoises de l'Ingrie ou gouvernement de Pétrograd. Sans revenir sur la valeur juridique de ces déclarations écrites qui précédèrent la signature de la paix, le gouvernement d'Helsingfors observe simplement qu'une condition primordiale des garanties promises, c'est au moins que les populations finnoises en question « continuent d'habiter leurs régions natales ».
Mais si on les expulse ou les transporte en masse dans d'autres régions éloignées, on ruine les bases du droit à disposer d'elles-mêmes qu'on leur avait reconnu comme aux Finnois de Carélie, sans compter qu'on les prive ainsi complètement des libertés qu'on leur avait garanties sur place. La note indique discrètement que, depuis cet hiver, des centaines et plus de familles de paysans finnois ont été « déportées dans des zones russes parfaitement étrangères, dans la presqu'île de Kola et en Sibérie ».
Le Commissariat extérieur à Moscou, géré, en l'absence de Litvinof, alors à Genève, par Kretinski, a répliqué immédiatement par deux notes l'une écrite le 17, l'autre, verbale, le 18. La première dénonce la propagande hostile et haineuse qui se poursuit et se renforce toujours plus en Finlande contre les Soviets.
Alors que la note finlandaise ne parle que des déportations d'Ingrie, la note russe se plaint des rêves irrédentistes des finnois en Carélie....
Il est certain que l'écrasement du communisme en Finlande a insufflé une énergie nouvelle aux idées de parenté ethnique, de solidarité finnoise en faveur des frères de race dispersés en Russie septentrionale.
Le mouvement n'est qu'une partie d'un mouvement plus vaste qui rapproche depuis une trentaine d'années les branches diverses de la race finno-hongroise : Finlandais, Estoniens, Hongrois. Ce ne fut jusqu'à la guerre qu'un romantisme intellectuel et sentimental qui ne groupait à l'origine que des étudiants de philosophie dans la Ligue finno-estonienne fondée en 1906 à Helsingfors. L'indépendance des deux républiques, la participation des Finlandais à la délivrance de l'Estonie accrurent le rapprochement.
Un club universitaire de la parenté ethnique fut fondé respectivement à Helsingfors et à Tartu (Dorpat), des chaires de langues des peuples finnois de la Baltique ont été créées et l'enseignement de l'estonien est devenu facultatif dans les écoles finlandaises. La Hongrie, depuis la guerre, a été associée à ce mouvement et a participé aux congrès culturels finno-hongrois qui reviennent périodiquement. Enfin, dans les trois pays apparentés, on a décidé de célébrer annuellement et régulièrement une journée des peuples finno-hongrois, le troisième samedi d'octobre et, l'an dernier, la Journée du 18 octobre, au lendemain des élections patriotiques, eut une signification nette.
Un journal agrarien, Suomenmaa, 18-10, célébra cette heure de fête dédiée au sentiment de la parenté de race dans le but de le renforcer chez les Finnois libres et d'éveiller l'espoir de la liberté jusque dans les rameaux de la race encore unis par la violence à une nationalité étrangère. Toute la Finlande, ce jour là, pavoisa. On suspendit les classes dans les écoles et des conférences, des discours expliquèrent, dans la plupart des villes, le nouvel évangile d’union...
D'après Hufvudstadsbladet, 20-5, le journal russe de Milioukof rédigé à Paris explique que les déportations de Finnois d'Ingrie ont pour but de fournir de la main-d’œuvre aux chantiers des forêts du Nord, que la mortalité, la fuite et les maladies dépeuplent.
Mais, en même temps, les Soviets purgent ainsi l’Ingrie d'éléments soupçonnés de sympathiser avec l'activisme finlandais....
De la presse finlandaise seul le socialiste Suomen Sosialidemokraatti, 19-5, blâme l'opinion finlandaise de ne pas laisser la question de l'Ingrie aux soins du Riksdag et du gouvernement responsables. L'agitation sentimentale contre les déportations « dépasse le but » dangereusement.
Au contraire, même les journaux radicaux du parti de M. Stahlherg protestent, comme Helsingin Sanomat, 20-5, contre l'accusation d'une propagande antirusse, alors que toute l’éducation politique des Russes, à l’heure actuelle, n'est qu'une propagande violente contre l’étranger.
Quant au ministère Sunila, tout en envoyant sa note mesurée du 16 mai, il parait enclin à brider l'entraînement sentimental de l'opinion. Huivudstadsbladet, 20-5, a annoncé des poursuites judiciaires contre les organisateurs de la manifestation silencieuse des étudiants devant la légation russe le 12 mai. Et l’Union des anciens combattants de la guerre d'indépendance a renoncé, sur son conseil, à une excursion le long de la frontière projetée pour le 25 mai. La Krasnaia Gazeta y voyait déjà une provocation fasciste et les lstévia 18-5, la dénonçaient comme une collusion des fascistes et de la Finlande officielle !
choix de textes Jean Aikhenbaum
Sources : Je suis partout du n° 29 du 13.06.31 p. 8