L’INDUSTRIE DU TABAC
...au banc des accusés
Depuis que les juges des états du Mississipi et de Floride ont accepté d’entamer une procédure contre les fabricants de cigarettes, de nouveaux fronts anti-tabac se sont ouverts.
L’accusation est grave, les Croisés anti-tabac accusent l’industrie de ne pas avoir prévenu les fumeurs que la nicotine créait une dépendance. Soixante bureaux d’avocats ont introduit une plainte auprès des tribunaux de la Nouvelle-Orléans. Jusqu’à présent, l’industrie du tabac a dû faire face à de nombreux procès, mais jamais les protestations n’ont atteint ce point, et jamais les fumeurs repentis ou les victimes du tabac n’avaient osé se grouper pour exiger des compensations financières.
L’argument de la défense consistait simplement à affirmer que les victimes connaissaient le risque couru en commençant à fumer. Il faut dire que les indemnités demandées à R.J. Reynolds et à Philip Morris (les deux principaux fabricants américains) s’élèvent (rien que pour l’état de Floride) à 7,3 milliards de francs pour les frais que la Santé publique a dépensés pour rembourser les fumeurs sans ressources en 1989 et 1995. Le gouverneur de Floride, Lawton Chiles, considère ce procès comme la première étape vers l’interdiction définitive du tabac.
...fait l’objet d’une enquête criminelle
Suspectée d’avoir dissimulé des preuves, le Bureau du procureur de New York vient d’ouvrir une enquête criminelle contre Philip Morris. Elle permettra de vérifier si cette entreprise a caché des études sur les effets exercés par le tabac sur le cerveau et sur le comportement des fumeurs. C’est du moins ce qui semble ressortir de divers documents en possession du New York Times. Cette ouverture d’enquête a mis en état d’alerte toute l’industrie américaine du tabac. Première conséquence, la Bourse a enregistré un net recul sur les actions des entreprises de ce secteur.
Mais plus grave encore, la «Food and Drug Administration» (la plus haute autorité en matière de santés aux USA), a publié au mois d’août 95 une étude où, pour la première fois, elle classait la nicotine au rang de drogue.
L’industrie du tabac aura donc ? dans les années à venir, à faire front à de très nombreux procès non seulement de victimes, mais également des Pouvoirs Publics de certains pays qui se porteront partie civile, et demanderont le remboursement des sommes que les organismes de Sécurité Sociale ont du verser à leurs cotisants ayant subi les méfaits du tabac.
En 2006, la Cour suprême de Floride a confirmé l’annulation de fabricants de tabac à
payer à des fumeurs la somme astronomique de 145 milliards de dollars.
La Cour suprême de Floride a estimé que la somme demandée était "trop élevée" et de nature à provoquer la faillite des fabricants de cigarettes..
Historique de la répression
Les mesures répressives contre le tabac commencèrent en 1618, au Japon. Puis Jacques Premier jette l’anathème sur le tabac. Il interdit sa culture en Angleterre et écrit un ouvrage «Misocapnos» pour combattre cette plante. Henri VIII d’Angleterre punit par le fouet les fumeurs. La reine Elisabeth Première (La Grande) confisque les pipes et les tabatières. Fumer était interdit à New York. Le pape Urbain VII pratique l’excommunication contre les prêtres et les fidèles qui fumeraient, priseraient ou chiqueraient à l’église. Le tsar ordonne de couper le nez aux fumeurs, et si cet «avertissement» ne suffit pas, de décapiter à la hache les amateurs de «l’herbe de l’ambassadeur».
Certaines interdictions ont eu, bien évidemment, un caractère économique. Au XVIIe siècle, pour tirer profit de la spéculation de cette plante, le gouvernement français interdit la culture du tabac sur notre territoire afin de la favoriser aux colonies.
Quels arguments peut-on utiliser ? Pour certains, la formidable histoire de cette plante est l’un des grands arguments qui plaide en sa faveur. L’histoire et les origines du tabac semblent être toujours obscures. Il est évident que les indiens la récoltaient à l’état sauvage. Presque toutes les espèces de tabac sont des plantes nitrophiles (aimant d’azote), ayant besoin d’un terrain riche en humus. Il est probable que les tabacs sauvages ont commencé à croître comme des mauvaises herbes au bord des habitations. Ce qui fait dire «que c’est le tabac qui cherchait l’homme et non le contraire». Et comme la variété de ces «mauvaises herbes» est très riche, l’homme en a rapidement connu plusieurs espèces.
Jusqu’à maintenant, les indiens d’Amérique du Nord utilisent neuf espèces de «Nicotiana». Rodrigo de Jerez et Luis de Torrès, deux membres de l’équipe de Christophe Colomb, sont les premiers européens qui en ont goûté. Bien évidemment, avant l’arrivée du tabac, les Européens avaient déjà l’habitude de fumer, mais il est difficile de connaître les espèces consommées. Il s’agissait peut-être de chanvre ou d’armoise. En Corse, on fumait une solanée proche du pétunia.
Pour certains historiens, l’arrivée du tabac changea notre civilisation. Ils estiment que cet événement nous a fait sortir du Moyen Age pour entrer dans une «nouvelle ère». La France a connu le tabac grâce à deux personnages : André Thévet, qui fut le premier à le cultiver dans la région d’Angoulême, et l’ambassadeur Jean Nicot, qui en adressa des semences à la reine de France pour lutter contre les migraines de la souveraine.
Le tabac ne fut pas seul à être importé
L’histoire de cette plante est riche en épisodes toujours très peu connus.
Qui est capable de dire combien d’espèces d’insectes ou de microbes sont arrivés en Europe avec le tabac ? Grâce aux études d’Antoine Grouvelle, directeur de la Manufacture des tabacs au siècle dernier, nous savons qu’avec le tabac on a «importé» un grand nombre d’insectes exotiques. Il a réussi à en détecter plus de quatre-vingt espèces provenant du Brésil, de Sumatre et du Mexique !
Du tabac pour les Dieux...
Dès le début de son histoire, le tabac fut traité comme une plante exceptionnelle, magique et médicinale.
Pour les Aztèques, il était l’incarnation de la déesse Cihuacoatl. Pour lui rendre hommage, ils brûlaient devant son autel des feuilles de tabac, car ils étaient persuadés que par ce rituel la déesse accorderait une féconde procréation. Les prêtres et les guérisseurs portaient une gourde de tabac attachée à la ceinture, car cette plante entrait en jeu dans toutes les médications magiques comme remède contre les rhumes, les rhumatismes, les fièvres, les morsures de serpent.
Les Mayas croyaient, eux aussi, au pouvoir surnaturel du tabac qu’ils brûlaient et fumaient.
les Incas prisaient le tabac pour se décharger le cerveau. Peut-être est-ce pour cette raison que les Espagnols lui donnèrent le nom de «herbe savante ?
Au Brésil, le tabac fait partie de certaines pratiques chamanistiques. D’après les croyances indigènes, il permet de chasser les esprits malfaisants et de soigner toutes les maladies.
... et pour se soigner
Dès son arrivée en Europe, les médecins portugais le traitent comme une vraie panacée. Les savants et les professeurs de la célèbre université de Salamanque publient une longue liste de maladies qu’il guérit.
En France, Ambroise Paré l’appelle «herbe catherinaire», ainsi nommée à la gloire de la reine Catherine de Médicis qui l’utilisait pour combattre ses troubles neurologiques. Se soigner par le tabac avait alors beaucoup de succès. Et les historiens de la médecine se sont longtemps posé des questions sur ses vertus. Il ne faut pas oublier que c’est une plante riche en alcaloïdes, dont l’action thérapeutique ne peut être exclue. D’autre part, on sait que certaines thérapies sont souvent plus nuisibles que la maladie elle-même. Alors on peut considérer que l’effet bénéfique de cette plante consistait à la limitation ou à la suppression des autres pratiques médicinales...
jusqu’à nos jours
Même de nos jours, le tabac trouve d’ardents défenseurs. Le Dr William Whitby, médecin américain, prétend dans son livre «Vive le tabac» que toute l’action antitabac est basée sur la supercherie. D’après ses observations, le fumée apaise la toux. Il cite également les recherches du Pr G.N. Schnauzer, de l’Université de San Diego, confirmant «que certains composants de la cigarette agissent de façon anticancérigène». Le gouvernement américain ne voulait pas divulguer la conclusion du fameux rapport Framingham qui affirmait «que la fumée immunisait contre le cancer du gros intestin». Enfin, d’après le Dr Whitby, «les cigarettes peuvent avoir un effet bénéfique sur les maladies cardiaques, car elles soulagent la tension nerveuse». Le tabac agit également sur la sécrétion surabondante d’adrénaline et indirectement il diminue le taux élevé de cholestérol et les risques de maladies cardiaques.
Les fumeurs, en allégeant leur tension grâce à la cigarette, échappent à l’infarctus (sic). Dans sa propre pratique, Whitby observa un cas de patient qui cessa de fumer et qui, immédiatement, souffrit de colite. Après avoir recommencé à fumer, la colite se calma. D’ailleurs, le British Medical Journal confirma «que certaines formes de colites sont plus fréquentes chez les non-fumeurs». Un autre effet des cigarettes consiste à combattre l’obésité. Le tabac agit sur les maladies nerveuses. La nicotine diminue la tension chez les inquiets et facilite la concentration en période de stress. La cigarette répond à un besoin pour les sujets sensibles aux chocs émotionnels. Le Dr Whitby souligne également «que les nations et les peuplades connues pour leur longévité (tels les habitants du Caucase) appartiennent depuis des millénaires aux civilisations de fumeurs».
Nous avons retrouvé un document concernant l’effet anti-asthmatique des cigarettes de belladone, de jusquiame et de stramoine, trois plantes de la même famille que le tabac. Ces cigarettes étaient considérées par Trousseau comme «presque miraculeuses», et elles étaient consommées il n’y a pas encore bien longtemps en France. l’auteur de cette recherche confirme que «le fait de fumer ces cigarettes a un effet calmant sur les crises d’asthme». On explique cette action par l’effet sur le taux d’acétylocholine.
Le tabac est aussi un «cobaye» pour les recherches de biotechnologie sur les plantes. La forte quantité de protéines semble séduire certains chercheurs et politiciens qui veulent le convertir en... ressource alimentaire.
NOTE AUX LECTEURS :
L’utilisation du tabac comme moyen thérapeutique ne peut évidemment se faire que de façon occasionnelle, très limitée dans le temps. Nous signalons que le tabac que nous consommons à l’heure actuelle est nocif de par son mode de culture et par les additifs qu’il contient. Il n’est donc d’aucune utilité en thérapie. Seuls peuvent être utilisés des tabacs non traités chimiquement, non édulcorés, séchés de façon traditionnelle et ne comportant aucun ajouts.
Il n’en existe pas à notre connaissance sur le marché européen.
DE L’USAGE DE LA NOCIVITE THERAPEUTIQUE DU TABAC...
La connaissance de la nocivité du tabac n’est pas une nouveauté. Citons l’excellent ouvrage d’Auguste Chevalier sur les origines du tabac :
«On rapporte qu’à la fin du XVIIe siècle, une thèse fut présentée à la Faculté de médecine de Paris par un nommé Claude Berger, bachelier en médecine. La question posée était de savoir si l’usage fréquent du tabac abrégeait la vie. Et la thèse concluait qu’effectivement il l’abrégeait. Une telle assertion risquait de causer un grand préjudice à la ferme des tabacs qui constituait une importante ressource pour le roi : le signataire de la thèse se montra lui-même un adversaire ardent du tabac, mais son nez n’était pas d’accord avec sa bouche, car on remarqua que pendant tout le temps de la soutenance, il eût toujours la tabatière à la main et ne cessa pas de prendre du tabac !».
L’histoire de cette plante fut marquée, dès son implantation en France, par la dualité de la politique d’état, qui tire d’énormes profits de son commerce. De l’autre, c’est l’interdiction ou la limitation de son usage «dans l’intérêt des citoyens». Comme on peut le constater, ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Administration s’occupe de notre santé !
Piotr Daszkiewicz
Jean Aikhenbaum