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Durée 22minutes.
J’ai de l’admiration pour Jacques Attali, c’est un homme brillant, cultivé et ce qu’il fait suscite toujours un intérêt justifié. C’est également un homme de pouvoir, des pouvoirs devrais-je dire conseiller du président de Mitterrand, Il est également proche et écouté de l’actuel pouvoir en place. N’y voyez pas reproche, mais plutôt compliment, en cela, Jacques Attali, se comporte parfaitement en juif, il œuvre pour ce qu’il pense être le bien collectif, ce qui compte, il le dit et insiste : c’est l’action menée pour le bien collectif, ce qui est bon pour tous, l’est également pour les juifs. J’ai donc écouté avec attention son intervention. Jacques Attali dresse un bilan : les perspectives quant à l’avenir du judaïsme sont sombres, je relève l’une de ses phrases significative, le peuple juif n’est pas en train de mourir, il est en train de se suicider. Pour appuyer sa démonstration, il nous sort des chiffres, nous pouvons lui faire confiance, il est bien documenté, son analyse est rigoureuse, lorsqu’il dit par exemple, que la population humaine d’une manière générale s’est accrue inversement proportionnellement à celle des juifs puisque le peuple juif représentait selon lui 10 % de l’empire romain …. alors qu’aujourd’hui, il ne représente que 2 pour mille de la population de la planète. Exact, également lorsqu’il remarque que dans la plupart des pays, le nombre des juifs décline et que seul Israël voit le nombre de sa population s’accroitre. Pour ma part, je ne vois pas là matière à dresser un constat du déclin du judaïsme – pas sa mort, mais son suicide – dixit Attali, mais bien au contraire une chance inespérée, certainement unique, probablement dans l’histoire juive de ces deux derniers millénaires, non seulement pour assurer la pérennité du judaïsme, mais également pour son renouveau. Dans une large mesure, la motivation des juifs des pays occidentaux qui choisissent d’aller vivre en Israël, le font pour des motifs identitaires et religieux. Autre signe annonciateur, de nombreux juifs éloigné du judaïsme, pendant parfois des décennies, veulent retrouver leur racine juive et les jeunes ne sont pas étrangers à ce type de démarche.
Nous ne sommes que 13 millions et M. Attali le regrette, le déplore… il propose donc d’assouplir les règles de la conversion qui sont, selon lui, obsolètes. Là-dessus, je suis également loin de partager son avis, nos rabbins, (même s’il m’arrive d’être fréquemment en total désaccord sur des prises de positions de certains d’entre eux) sont pour la majorité, des gens intelligents qui se penchent très certainement avec une attention particulière sur les problèmes de société et qui connaissent probablement aussi bien, que M. Attali, les conséquences qu’engendrent la déjudaïsation par l’assimilation. Un autre détail, M. Attali met en avant (et il a totalement, raison de le mentionner) le rôle, à différents degrés, dans des domaines très variés qu’on pu avoir les juifs au cours de l’histoire de ces trois derniers millénaires. Sa hantise, si j’ai bien compris, c’est que nous soyons plus en mesure d’assumer ce rôle à l’avenir… que M. Attali, se rassure, pour l’instant ce n’est pas le cas, les juifs, malgré leur proportion infime, au regard de la totalité de la population du globe, sont toujours présents dans de nombreux domaines, il le reconnaît, il faut lui en rendre acte.
Monsieur Attali, se prononce clairement pour une éducation juive et pour les écoles juives, à la condition toutefois qu’elles ne débouchent pas sur la yechivah, voie de garage en quelque sorte… mais sur polytechnique, voie royale, selon lui ! Là, aussi, je me sépare de son raisonnement, si des juifs ont accès à de prestigieuses universités, c’est peut-être également parce qu’il existe des juifs, qui se penchent toujours, comme ils le faisaient il y a deux mille ans sur des textes qui sont devenus pour le commun des juifs inaccessibles.
S’ensuit tout un discours, les juifs sont heureux en France, ou du moins, moins malheureux que les musulmans, nous devons donc aider les musulmans de France et d’ailleurs, c’est, selon lui, la seule possibilité pour qu’ils nous acceptent (supportent ?) et finissent par reconnaître le droit d’Israël à exister. Nous juifs, avons donc en quelque sorte une situation privilégiée en France, là également nous n’avons probablement pas les mêmes sources d’informations. Si cette analyse est probablement exacte pour une catégorie de juifs privilégiés, elle ne l’est certainement moins pour les juifs dont le niveau de vie est proche du seuil de pauvreté qui vivent dans des banlieues défavorisées à forte proportion immigrée, la difficulté (voire l’impossibilité) pour les enfants juifs de fréquenter les écoles laïques est de plus en plus patente. Je ne peux croire, que M. Attali, ignore la recrudescence, la banalisation dans notre pays des actes antisémites dans les écoles, Emmanuel Brenner dans un ouvrage collectif publié sous le titre : Les territoires perdus de la république dans lequel les différents auteurs, font part de leur impuissance à tenter de juguler les dérives racistes, l’antisémitisme, la difficulté à enseigner qui disent-ils témoigne de la décrépitude des valeurs qui fondent la république…. Les parents juifs, n’ont bien souvent d’autres choix que de scolariser leurs enfants dans des écoles privées ou juives.
Monsieur Attali, préconise également l’étude des différentes religions en milieu scolaire. La connaissance de l’autre pense-t-il, favorise la compréhension et ferait taire les dissensions ! Que voilà un beau programme, mais hélas celui-ci n’a donné, au cours de notre histoire, que des résultats plutôt médiocres. Je dirais même mieux, les antisémites se sont servis de leurs connaissances du judaïsme et se sont appuyés sur nos textes pour justifier leur antisémitisme. L’antisémitisme est un phénomène qui du point de vue logique ne peut trouver d’explication rationnelle, tous les moyens préconisés pour tenter d’y mettre fin au cours de ces deux derniers millénaires ont échoué.
La population juive décroit à peu près partout, nous dit-il, l’assimilation est une des causes, l’autre raison, c’est qu’une partie de la population fait – une fois encore – le choix de l’exil.
M. Attali, nous fait remarquer qu’il vient d’Algérie… tiens donc, ses ancêtres étaient probablement présents sur cette terre bien avant l’invasion arabo-musulmane, on pourrait se demander les raisons qui ont obligés les juifs originaires d’Algérie à quitter un pays qu’ils considéraient comme le leur, au moment de l’indépendance. En fait M. Attali, le sait très bien, les juifs d’Algérie n’ont pas quitté l’Algérie, ils en ont été chassés, ils n’avaient guère que l’option de fuir pour assurer leur survie.
Si les juifs ont vu leur intégration facilitée, c’est parce qu’ils avaient (toujours selon M. Attali) une bourgeoisie donc de l’argent, qui a permis la création de structures juives dont l’école juive. Là, les bras m’en tombent… je veux bien croire qu’il existe une solidarité juive, mais il ne faut pas en exagérer son importance. Les juifs originaires de Pologne, ont envoyé leurs enfants à l’école, laïque pour la raison simple, c’est qu’il n’y avait au début du XX° siècle, pas d’autre choix. Il n’y avait pas ou peu d’écoles juives. L’éducation religieuse était dispensée accessoirement dans les lieux de culte, c’est également ce qui se faisait pour les enfants catholiques lorsque que ceux-ci fréquentaient l’école laïque. Toute ma génération (celle de la guerre et une grande partie de celle de l’immédiate après-guerre) a fréquenté également l’école laïque. L’intégration s’est donc faite par ce biais, même s’il faut convenir que ce type d’orientation, et ce n’est probablement pas la seule, a conduit nos générations vers l’assimilation. Les juifs arrivés en France à la suite de la décolonisation de l’Algérie, du Maroc et de Tunisie ont rencontrés des difficultés similaires. Mais si nous abondons dans le discours de la solidarité juive et de l’argent juif, qui auraient favorisés notre intégration, je ferais remarquer, qu’il n’existe peut-être pas une diaspora musulmane « bourgeoise », mais qu’il existe bel et bien d’immenses richesses détenues par une infime minorité de citoyens du monde arabo-musulman. Cette minorité dispense des fonds importants à des « œuvres » que ces élites choisissent, M. Attali qui est certainement bien mieux informé que je ne le suis, connaît probablement bien quels sont les objectifs prioritaires de ces organisation « caritatives », d’ailleurs, il n’est pas dupe, puisqu’il se félicite de voir qu’en Angleterre des juifs financent l’éducation d’imams pour tenter de contrebalancer l’influence d’imams intégristes, qui sont eux financés, et c’est là, secret de polichinelle, par l’Arabie saoudite. Ce type de solution me paraît extrêmement préoccupant, nous continuons à payer comme par le passé un tribut pour tenter d’obtenir une paix hypothétique. Est-il utile de rappeler que ce type de mesure a toujours échoué.
M. Attali parle également de la confusion dans l’organisation des institutions juives, nous devrions tous, à l’entendre, nous regrouper dans des structures bien définies et bien organisées… allons donc, M. Attali sait certainement aussi bien que moi, que lorsqu’il y a 2 juifs, il y a 3 opinions, c’est probablement là également l’une des clés de la richesse et l’inventivité de la pensée juive, vouloir la niveler est impossible et c’est bien ainsi.
L’antisémitisme est absent du discours de M. Attali et c’est bien dommage, il verrait peut-être là, une des raisons qui fait que la population juive décline dans de nombreux pays, y compris dans les pays occidentaux.
Bien évidemment, les idées de M. Attali, sont respectables, je pense qu’il a raison de faire ce qu’il fait, qu’il faut favoriser les rapprochements entre les différentes composantes de l’humanité, le juif à toujours œuvré en ce sens, mais il faut bien le constater, avec jusqu’à présent bien peu de réussite. Oui, nous devons nous ouvrir aux autres, en conservant notre particularisme, avec un œil vigilant sur notre valise et c’est probablement aussi l’une des raisons de notre survie.
M. Attali, je vous admire, je me reconnais en vous, je vous lis fréquemment, j’aime ce que vous faites je suis proche et éloigné de vous, c’est aussi dans ses contradictions que se retrouvent la diversité et la similitude des juifs. Ne vous inquiétez pas, le monde juif ne se suicide pas, il est en crise, il l’a toujours été et c’est également là, le gage de sa survie.
Jean Aikhenbaum