On a fait beaucoup de bruit, ces derniers temps, autour d'une déclaration émanée des Allemands de Lodz et qui tendrait à poser, sous un jour nouveau et assez inattendu, le problème de la minorité allemande en Pologne. Dans cette déclaration, adressée au Président de la République, au maréchal Pilsudski et au président du Conseil par l'Association culturelle et économique allemande de la grande cité industrielle, s'exprime a l'égard de la commune patrie polonaise ; un loyalisme qui ne semble pas de commande et qui paraît, à première vue, fort sincère. D'autant que les Allemands de Lodz ne laissent pas de condamner avec énergie les « menées révisionnistes de leurs congénères de Berlin et de Munich. L'irritante question des minorités nationales, si graves pour l'avenir de l'Est de l'Europe et de l'Europe, en général, serait-elle, au moins sur un point, en Voie de liquidation ? …..
Pour la pacification des esprits
N'a-t-on point entendu récemment un Allemand de Bohème, ministre du gouvernement de Prague prêcher publiquement la pacification des esprits et la réconciliation des deux éléments, tchèque et germanique, pour le bien supérieur du pays qui, disait-il, est aussi notre pays ? On songera encore que le seul fait que ces minorités allemandes, riches, puissantes, fortement organisées, acceptent de se plier à la domination de peuples slaves — on sait le mépris que professe tout authentique Allemand a l'égard de la race slave — est un gage assez rassurant de la consolidation du statut politique et territorial créé par tes traités de 1919 en ces contrée où les antagonismes de race risquent à tout instant de mettre le feu aux poudres. Il faut, cependant, y regarder de près...
La déclaration vient d'un groupe d'Allemands, puissant à vrai dire, mais isolé au sein d'une ville authentiquement polonaise. …...
Le commerce et l'industrie germaniques ont pu, il est vrai, s'y créer une position de premier plan, le pays n'en demeure pas moins indiscutablement polonais et, de fait, ni Treviranus ni les idéologues hitlériens ne l'ont fait, jusqu'à présent, figurer sur la liste de leurs revendications. Lodz, avant la guerre, appartenait à la Russie, dont elle était l'une des places fortes industrielles. De sorte que le développement économique de la grande cité textile n'est aucunement orienté vers l'Allemagne ; il est plutôt tourné vers l’Est, vers l'intérieur de la Pologne et le monde slave.
Et il n'est aucunement étonnant que les Allemands qui l'habitent, se montrent disposés à ratifier une situation qui est, somme toute, favorable à leurs intérêts. Ils ne sont pas, du reste, les seuls en Pologne à se trouver dans ce cas. La Galicie, elle aussi, a sa minorité allemande. Ce sont des colons introduits au XVIIIème siècle en ces régions par Joseph Il et qui, ayant maintenu intact pendant deux cents ans leur, caractère racial, vivent aujourd'hui encore dans des villages à eux, où l'on ne parle que l’allemand et où la tradition du Deutschturn est toujours en honneur. Mais, de ce côté non plus, nul irrédentisme. Une collaboration s'est depuis longtemps instituée avec l'élément polonais, qui ne laisse aucune prise aux idéologies nationalistes de l'Allemagne revancharde d'aujourd'hui.
des cas exceptionnels ;
et il s'en faut que les Allemands de Lodz expriment au vrai le sentiment des autres minorités allemandes de Pologne. ….. Les deux peuples, Allemand et Polonais, sont toujours l'un en face de l'autre, dans une hostilité menaçante que n'amortit qu'à peine la communauté des intérêts. Ici encore, comme à Lodz, c'est entre les mains des Allemands que se trouve la majeure partie de l'industrie, richesse du pays. Mais la situation est autre. La Haute-Silésie a trop longtemps gravité dans l'orbite du Reich dont elle faisait l'une des sources principales de prospérité.....
Autre question épineuse : les Ruthènes de Galicie orientale. Des efforts avaient été tentés, ces dernières semaines, pour aboutir à un accord. Ces tentatives ont échoué, les représentants des partis ukrainiens ayant refusé d'accepter les conditions posées par les Polonais ; c'est à savoir : premièrement, une déclaration solennelle de loyalisme faite à la Diète par les députés ruthènes ; deuxièmement et surtout, le retrait des plaintes déposées à Genève par la représentation parlementaire ukrainienne à la suite de la répression des troubles de l'été dernier en Petite Pologne. La question reste donc pendante. Toutefois, les Polonais viennent d'enregistrer un succès moral considérable. L'évêque uniate de Przemysl, Mgr Lhomiszyn, dans un mandement retentissant, vient de condamner avec vigueur les menées séparatistes des nationalistes ukrainiens. « L'intérêt de l'Ukraine, a-t-il déclaré en propres termes, est une Pologne forte, un Etat polonais puissant, mais, ajouté, juste... » Cette initiative a eu, il est vrai, pour résultat de déchaîner contre l'évêque les journaux nationalistes ruthènes. Mais l'influence de l'Eglise uniate est grande parmi les masses ukrainiennes de Galicie reste à espérer, pour la paix de l'Europe, que les paroles de l'évêque de Przemysl seront entendues.
L’épineuse question de Dantzig
Il n'est point, pour la politique polono-allemande, de question plus épineuse que celle de Dantzig. On connaît le sort fait par les traités à ce port, constitué, avec sa banlieue, en Etat libre, sous l'égide de la S.D.N. Ville de population allemande, encore qu'elle abonde de souvenirs polonais, Dantzig tire de la Pologne le plus clair de son activité et de ses ressources ; elle est, pour ainsi dire, l'exutoire naturel de l'immense pays qui s'étend de la »Baltique aux Carpathes et aux confins de l'Ukraine.
La S.D.N. et la Pologne sont représentées chacune par un haut-commissaire, auprès du Sénat de la ville. Mais elle a, en ce qui concerne son administration intérieure, toutes les prérogatives d'un Etat indépendant. Situation assez ambiguë, unique en Europe, et qui ne va pas, bien entendu, sans provoquer des conflits sans cesse renouvelés.
Les griefs de Dantzig à l'égard de la « nation protectrice » sont nombreux, sinon justifiés. Dès avant la guerre, l'activité du part s'était de beaucoup ralentie. La création d'une Pologne libre n'a pas remédié à cette situation; et ce n'est pas sans amertume que les dantzikois ont assisté à la création, par le nouvel Etat et sur le golfe même de Dantzig, du port militaire et marchand à la fois de Gdynia. Ce port, creusé et équipé de toutes pièces en quelques années, ne va-t-il pas aggraver enclore la situation économique déjà précaire de la Ville Libre ?
La construction d'une ligne de chemin de fer : une concurrence qui porte ombrage
La conclusion d’un emprunt destiné de permettre la construction d’une ligne de chemin de fer qui reliera Gydnia, et donner à coup sûr, un nouvel essor, on multiplie les alarmes des dantzikois. Cette concurrence leur porte ombrage, qui est, à entendre leur presse, parfaitement déloyale et, ajoutent-ils, totalement contraire à l'esprit du traité de Versailles. De deux choses l'une argumentent les feuilles nationalistes de la Ville Libre : ou là Pologne doit se contenter de Dantzig, ou il n'y a plus de raison à maintenir Dantzig dans cet état de séparation avec le Reich que lui ont imposé les traités.
Telle est l'argumentation de la presse dantzikoise. Mais il s'en faut, à vrai dire, que tout se borne à argumenter. Séparée du reste de l'Allemagne, Dantzig n'en est peut-être pas moins la ville allemande où le chauvinisme teuton est le plus développé et le plus ombrageux. Les dernières élections, qui ont eu lieu en octobre dernier, ont envoyé au Sénat une majorité compacte de rationalistes, dont un fort contingent d'hitlériens. M. Ziehm, président du Sénat, est représenté par la presse polonaise comme un ennemi juré de la Pologne et de tout ce qui est polonais. De fait, l'un des premiers actes du nouveau Sénat a été d'avertir Varsovie que le port de la Ville Libre serait, désormais, fermé aux navires de guerre polonais, Gdydnia, disait la note du Sénat, étant en mesure de leur servir de base et de port d’attache.
Brimades et exactions
..... Bien entendu, les éléments nationalistes de la Ville Libre, n’épargnent aucune brimade. Il ne se passe presque pas de jour que de nouveaux sévices ne lui soient infligés...
Le premier est l'affaire d'un certain Gengierski, de nom polonais, mais de nationalité allemande, qui, ayant à se plaindre d'une compagnie de navigation, et déçu de voir ses réclamations sans-résultat, assassina l'employé à qui il attribuait son échec. Cet employé était polonais. Arrêté, Gengiérski déclara qu'il avait tué l'employé, non pour des raisons personnelles, mais parce que son interlocuteur, au cours de leur altercation, avait, blessé ses sentiments patriotiques ; cette méthode de défense produisit le résultat qu'il attendait. Gengierski fut acquitté.
Le deuxième incident est dû aux hitlériens. Certain soir du mois de mars, un groupe de racistes, en « tournée » sur le port, aperçut, sur le pont du navire polonais Copernic, un matelot, nommé Styrbick, qu'ils attirèrent à terre, battirent jusqu'à ce qu'il perdît connaissance et qu'ils abandonnèrent sur la place. Le malheureux Styrbick fut transporté à l'hôpital, pansé, guéri, et il se disposait à regagner son bord, quand un policier se présenta, lui mit la main au collet et le conduisit séance tenante en prison, sous l'inculpation d'avoir... troublé la paix publique.
Ces événements ont motivé la démission de M. Strassburger, haut-commissaire de la Pologne à Dantzig. Dans la lettre qu'il a adressée au, Sénat, M. Strassburger proteste contre la situation faite aux Polonais dans la Ville Libre, et, constatant son impuissance à y porter remède, devant le mauvais vouloir des autorités, il déclare renoncer à une mission qu'il n'a pas-les moyens de remplir.
Textes sélectionnés et mis en forme par Jean Aikhenbaum
Sources sélectives ;
Je suis partout 1931
archives personnelles