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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 11:37

 

Le côté sombre de la muséologie en France

Des collections sulfureuses

 

Des restes de corps humain font partie de collections d’objets et à ce titre sont exposés dans des musées français. Sans vouer un culte particulier aux rites funéraires lorsque l’on voit exposé le crâne de Descartes dans l’une des vitrines du Musée de l'Homme, il y a de quoi être choqué ou au moins interpellé. N'importe quel humain a droit à un enterrement digne et le rôle du corps après la mort n’est pas d’être un "objet de curiosité". Les défunts, surtout ceux qui sont décédés depuis longtemps n'ont plus de famille, pas  d’avocats pour défendre leur droit au repos et au respect que l’on doit à leur mémoire et à leur dépouille.



L'histoire de la vénus Hottentote, exhibée comme un animal de cirque !

 

L'histoire de la Venus Hottentote est démonstrative (voir à ce sujet, le film On l'appelait la Vénus Hottentote - Zota MASEKO Johannesburg: Dominant 7. Mail and Guardian television. UC2 1998 et le livre L'énigme de la Vénus Hottentote de Gérard Badou Ed. JC Lattès). Une jeune femme Saartjie Baartman, a été exhibée en Europe comme un animal de cirque. Après sa mort son corps "offert par la préfecture" est devenu un objet qui fait parti des collections nationales du Muséum National d'Histoire Naturelle. Georges Cuvier, le grand naturaliste français s'intéressa personnellement à la dépouille de Saartjie Baartman. Il a fallu attendre plus de 150 ans, et le risque d'un incident diplomatique entre la France et la République d'Afrique du Sud pour que soit discuté... la possibilité d’enterrer les restes de cette malheureuse femme qui ont été très longtemps exposés par le Musée de l'Homme à Paris. Jusqu'à présent cette affaire est toujours un "sujet de discussion", le comble, on ne sait plus très bien où se trouve le corps. Il est quelque part, égaré dans le désordre qui règne dans l’archivage des pièces de collection dans la totalité des musées de France ! Aux dernières nouvelles, la dépouille de la Vénus Hottentote, devrait être restituée à l’Afrique du Sud. Cette affaire est à tel point embarrassante qu’elle a fait l’objet d’un débat parlementaire dans la séance du 29 janvier 2002. Le Ministre de la Recherche a fait remarquer que depuis 1994, il n’y a pas d’appropriation publique, ni privée, d’ailleurs du corps humain (et avant cette date ? oui) la notion de « restitution » parait difficile…Le rapporteur a trouvé regrettable que le Gouvernement veuille édulcorer le texte. En effet, l’amendement n°1 tend a supprimer de l’intitulé de la proposition de loi toute référence à la restitution de la dépouille mortelle, comme si on voulait se dédouaner des exactions indescriptibles commises par la France, comme d’ailleurs la Grande Bretagne sur la personne Saartjie Baartman…Comme dans le macabre, il n’y a pas de limite, le rapporteur fait remarquer un peu plus loin… ce que j’ai indiqué sur, la présence des trois pièces dont on nous disait dans le passé qu’elles avaient disparu m’a été confirmé récemment : en fait les pièces relatives à l’encéphale de Saartjie Baartman, à ses organes génitaux et au moulage de ceux-ci ont été inscrites depuis peu à l’inventaire du Musée de l’Homme et du Muséum (National) d’Histoire Naturelle…. un autre intervenant fait également remarquer  que Mme Saartjie Baartman a été autopsiée dans l’intérêt des scientifiques…



L’exhibition des restes humains, un héritage anthropologique ?

L'exposition de corps humain n'est pas uniquement un héritage de l'anthropologie du dix-neuvième siècle. Les "spectacles anatomiques" étaient autrefois très répandus en Europe. F. Ruysch (1638-1731), un médecin hollandais est l'auteur de la célèbre "momies de Ruysch". Ce savant possédait une formule secrète qui, lorsqu’elle était appliquée avait une étonnante capacité à momifier les corps humains. Après avoir été embaumés les corps conservaient toute l’apparence du vivant.  Sa collection fut achetée par le tsar Pierre le Grand et mise à Saint-Pétersbourg. La célébrité de Ruysch était sans précédent en Europe.  L'amiral britannique, sir Berkeley qui trouva la mort pendant la bataille navale entre la flotte Hollandaise et la Royal Navy en 1666, fut ainsi "préparé" par Ruysch. La couronne britannique réclama le retour de la dépouille de son héros. Non pour l’enterrer, comme cela aurait du être le cas pour un haut officier et dignitaire mais...pour posséder dans sa collection l’une des célèbres préparation de Ruysch.

Et en France ? Qui n'a jamais entendu parler des cabinets anatomiques de Fragonard. Ses "macabres", compositions faites de corps d’hommes et  d’animaux peuvent toujours être "admirées" dans la collection de l'Ecole Vétérinaire d'Alfortville. Il semble même que pour l’une de ces "oeuvres d'art" Fragonard se soit servi du corps de sa fiancée !  Déjà à l'époque de nombreux savants de l'Europe protestèrent, ils considéraient que les "oeuvres" de Fragonard étaient immorales et charlatanesques et qu’elles n’avaient aucune valeur scientifique.

 

 Les restes humains, des objets de collection toujours recherchés !

 

Les restes humains pour collections ont toujours été "très recherchés" par les musées au dix-neuvième siècle (et même au vingtième). Aujourd'hui, cet engouement semble passer de mode,  les responsables de collections ne savent plus quoi faire de ces objets éthiquement "embarrassants". Ces restes macabres sont à l’origine des sciences anthropologiques contemporaines et ont eu un rôle obscur dans l'histoire de nos grands établissements scientifique de la République. Il a fallu le non conformisme et le courage de Stéphan Jay Gould pour démasquer par exemple les pratiques racistes et démonter l’ordinaire supercherie scientifique de Broca, "grand collectionneur" de restes humains. Broca est toujours l’un des savants les plus vénérés en France. A Paris, une rue et un hôpital portent son nom. Alors que faire de cet héritage embarrassant de l'anthropologie du dix-neuvième siècle ? En général  les responsables des collections choisissent une solution simple : mettre ces objets aux oubliettes. Ils prétendent qu'ils n’en ont plus trace, et qu’ils sont perdus depuis longtemps. Pourtant ces collections macabres  existent toujours et comportent de très nombreux "objets" "discutables" d’un point de vue éthique. Voici quelques exemples :

            1. La collection de F. Gall (1758-1828), ce savant a été l’un des fondateurs de phrénologie (étude du caractère d'après la forme du crâne). Sa collection est actuellement la possession du Musée de l'Homme. Parmi les crânes "objets" de la collection, il y a ceux de soldats (préparées par Larrey, célèbre médecin) morts pendants les guerres napoléoniennes; le crâne de Blanchard (1753-1809), pionnier de l'aéronautique et inventeur du parachute; les crânes des poètes allemands Gresset, Junger, Alexinger, Blaumauer; ceux des mathématiciens David et Voigtlander; les célèbres médecins autrichiens Salab et Helt; le crâne du violoniste Kreibeg, musicien préféré de l'empereur de l'Autriche François II ; celui de Preshel assassin exécuté à Rouen et plusieurs "crânes ethniques" comme ceux d'un Egyptien, d’un marin chinois  ou d’un Kalmuk. Enfin la collection possède également le crâne de Gall. C'était paraît-il sa dernière volonté.

            2. La collection de Georges Cuvier est probablement toujours aujourd'hui au Muséum National d'Histoire Naturelle. Elle contient (d'après le catalogue publié en 1833) les crânes et les squelettes de 7 personnes célèbres sans plus de précisions, mais également le crâne et le squelette de Sulejman el Haleby, assassin du général Kleber. Le Muséum National d'Histoire Naturelle est sans aucun doute la plus ancienne institution française détentrice de telles collections. Auparavant la collection du Cabinet du Roi comptait parmi ses objets "la peau d'un noir" et les têtes d'un Chinois, d'un Tatar et d'un Kalmuk rapportées par Joseph-Nicolas de l'Isle de son séjour en Russie (1725-1747). La révolution et ensuite les guerres ont largement enrichi cette collection  avec entre autres un soldat du premier régiment de grenadiers  et les crânes de russes et d’autrichiens morts à Austerlitz"

            3. Le Musée Delmas-Orfila-Rouvière Rue des Saints-Pères (Faculté de Médecine  Université Paris VII Denis Diderot Paris 7) a en sa possession la célèbre collection Broca. Dans celle-ci non seulement on y trouve des crânes, des têtes conservées,  des bustes momifiés de célèbres criminels du dix-neuvième siècle mais aussi ceux de plusieurs personnages ou politiques notamment celui de l’anarchiste François Koenigstein exécuté. Cette collection possède également des têtes d’insurgés algériens. La collection de Broca a compté jusqu’à 6500 crânes, 230 squelettes et 7000 cerveaux ! Dans la période ou l’anthropologie française était à son zénith 25 mille de crânes étaient répertoriés.

            4. Ces "objets" se trouvent non seulement dans les collections de musées mais également dans  les hôpitaux. Quelque part dans l’un des placards de la Salpetrière traîne la tête de la célèbre espionne Mata Hari.

            Il est difficile parfois localiser ces objets autrefois célèbres et aujourd'hui presque oubliés. Où se trouve par exemple le crâne de Charlotte Corday (1768-1793), qui a assassiné Marat. En 1890, le tout Paris mondain a été mis en effervescence par une nouvelle "scientifique" de grande importance ont pouvait contempler le crâne de Charlotte pendant l’Exposition Universelle. On devait ce privilège au prince Roland Bonaparte, célèbre voyageur et anthropologue qui était parvenu a acheter cette précieuse relique.  Après quoi, le crâne fut "mis à la disposition de la science". Certains de ces "objets" étaient tellement prisés... qu’ils étaient quelquefois offerts aux délégations étrangères. Où se trouve aujourd'hui la crâne d’un Toungouze offert par le général Korsakov, gouverneur de la Sibérie Occidentale lors de sa  visite officielle à Paris en 1866 ?



Faut-il demander aux musées de mettre au grand  jour leurs catalogues « d’objets humains » ?

 

Encore de nos jours, tous les musées qui possédait un département  anthropologie et tous les anciens hôpitaux possèdent de semblables "objets". Que faire avec? Le silence n'est certes pas une bonne solution. Même si les expositions de ces corps ou partie de corps sont inacceptables,  il est préférable d’en parler,  ainsi nous pourrons mieux en comprendre l'historique et l'histoire de la science en particulier. Pour l’instant on tente de nous faire croire que le problème n'existe pas. Il y a donc un squelette dont ont ne sait que faire, dissimulé dans l'armoire du ministère de Culture. Ca bouge un peu tout de même, puisque le texte propose de déclasser tous les restes humains qui se trouvent être la possession du Musée de l’Homme…. Pour ceux qui sont ailleurs, les plus nombreux d’ailleurs, aucune décision n’a été prise.

Piotr Daszkiewicz - Historien des Sciences - Dr es-sciences

 

 

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commentaires

D
Le musée Carnavalet conserve quant à lui la machoire de Marat.
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