Article publie dans « Réussir cotre santé n° 8 » 1994.
Certains travaux restent pratiquement inconnus, malgré le grand intérêt que leur accorderait d’abord, l’histoire de la médecine et ensuite la médecine elle-même. C’est malheureusement le cas de la majorité des thèses !
L’excellente étude de Mme Elisabeth Kind sur “L’Ecole physiologique de Broussais et l’utilisation des sangsues au dix-neuvième siècle” fait partie de ces travaux qui mériterait une publication à grand tirage. L’auteur y décrit l’utilisation des sangsues au cours de l’histoire.
Elles font partie des traitements médicaux depuis la nuit des temps (on les trouve dans la Bible sous le nom d’Aluca). Leur usage a été redécouvert par les Grecs, les Hindous, les Arabes et les Chinois. Au seizième siècle, cet animal a été étudié par le grand naturaliste Conrad Gesner. L’utilisation des sangsues était très répandue à l’époque de la saignée thérapeutique. Elles ont retrouvé leur place dans la médecine grâce à l’école et à la doctrine de Broussais. La victoire de la conception pasteurienne diminua la présence de cet annélide dans les hôpitaux. Pourtant, les recherches démontraient leur grande utilité.
Un pouvoir anti-coagulent
En 1884, Haycraft découvrait l’hirudine et son pouvoir anticoagulant. Sept ans plus tard, Heidenhain observe l’action de l’extrait de sangsues. En 1895, Ledoux confirme leur pouvoir antiinfectieux en constatant l’imputrescibilité du sang des hirudinés. Sali démontra que l’injection intraveineuse d’hirudine s’oppose à la formation d’un caillot au cours de la pénétration d’un corps étranger intravasculaire.
Des effets thérapeutiques nombreux
Ainsi, il démontra que ce n’est pas à la petite saignée locale provoquée par la succion de la sangsue qu’il faut attribuer les effets thérapeutiques, mais à la pénétration dans l’organisme de la protéine qu’elle secrète: l’hirudine. De nombreux auteurs confirment leur efficacité en traitement médicaux et chirurgicaux. En 1946, Durant utilise l’hirudine dans le traitement des crises d’asthme. Bach découvre ses propriétés diurétiques et les utilise dans l’éclampsie. Mohard conclut que “les indications de la sangsue concernent d’abord les maladies du système veineux, notamment thromboses et embolies, les phlébites, les hémorroïdes, les inflammations phlegmoneuses, les abcès amygdaliens, ainsi que de nombreuses affections occulaires. Certains troubles mentaux seraient améliorés mais également ceux occasionnés par la ménopause.”
Différents pays en ont utilisé diverses espèces :
l’Hirudo officinalis (espèce protégée) et l’Hirudo trochina en Europe, l’Hirudo mysomelus au Sénégal, l’Hirudo granulosa en Inde, l’Hirudo sinica en Chine. L’utilisation de la sangsue relève d’un art thérapeutique particulier. Le médecin était obligé de choisir la fréquence des applications, la place et le nombre des hirudinées. L’hirudinothérapie comportait des complications comme d’éventuelles hémorragies ou la transmission de maladies contagieuses.
Utilisée en chirurgie
Actuellement, l’industrie pharmaceutique utilise ces annélides pour produire de l’hirudine. Les sangsues sont encore utilisées aujourd’hui dans l’un des hôpitaux les plus modernes de New-York dans un service de microchirurgie postopératoire. D’autres hôpitaux (dont l’hôpital Pellegrin de Bordeaux) les utilisent en chirurgie cardio-vasculaire et plastique. Elles sont également utilisées dans les réimplantations des doigts sectionnés lorsque le chirurgien ne trouve pas de petites veines.
Les sangsues depuis des siècles fascinent l’homme. Hérodote décrit un pluvier d’Egypte qui va chercher la sangsue d’origine égyptienne “Ozobranchus quatrefagesi” dans la gueule des crocodiles. Les voyageurs racontent qu’en Asie vivent de grandes sangsues “vampires” qui attaquent les hommes. Ces sangsues exotiques de grande taille de la famille des “Haemapsidae”, nichent sur les arbres ou dans les hautes herbes. Quand l’homme passe à leur portée elles se jettent sur lui par dizaines ou même plus et lui infligent de multiples saignées et le sang continue de couler longtemps après que ces animaux se détachent de leur victime.
Les nombreux caractères biologiques des hirudinées demeurent toujours inconnus. Les biologistes sont étonnés par leur extraordinaire résistance au jeûne. Les sangsues médicinales supportent des privations de nourriture de six mois. On a observé chez “l’Hemiclepsis marginata” des jeûnes de trois cents jours. Leur capacité à conserver le sang est également très étonnante. Pendant des semaines le sang pris par l’animal ne présente aucune modification, on peut observer des corps immunisants et des bactéries pathogènes assimilés par la sangsue avec le sang. Il faut plusieurs semaines et même parfois des mois avant que l’hémolyse commence.
Autrefois, les sangsues étaient utilisées dans trois optiques différentes (d’après leTraité de Zoologie de Grasset):
- Pour effectuer des saignées importantes (la pose simultanée d’une vingtaine de sangsues peut en quelques heures prélever un demi litre de sang)
- la saignée locale dans une région enflammée afin de calmer les phénomènes douloureux et congestifs
- la saignée aux endroits où l’on pressent la formation d’un caillot (phlébites).
Elles étaient conseillées dans les parties du corps où les ventouses ne pouvaient pas être placées.
Grâce à l’action lymphagogue de l’hirudine, la saignée a aussi une action antiinfectieuse. Le rôle des bactéries symbiotes des hirudinées est encore toujours très peu connu. La bactérie intestinale “Pseudomonas hirudinis” a une action antibiotique particulièrement efficace contre le Staphylocoque doré. De nombreux auteurs font état de l’action antiallergique (antihistaminique) des hirudinées.
Source :
Ecole physiologique de broussais et l’utilisation des sangsues au XIX° siècle, Elisabeth Kund
Piotr Daszkiewicz
Jean Aikhenbaum