les mythes de la science moderne
La vache folle, Tchernobyl, Fukushima et autre catastrophes passées et à venir
L'affaire de la vache folle est particulièrement intéressante pour un historien des sciences, car elle souligne l'existence et l'importance de plusieurs mythes et rêves que véhiculent notre société sur la science contemporaine. Quels sont ces mythes ? Quelles peuvent être les conséquences de ce regard irrationnel sur les problèmes de santé que nous pouvons rencontrer ?
Mythe n° 1
La science contemporaine est si performante qu'elle pourra résoudre tous nos problèmes. Il faut seulement lui laisser un peu plus de temps et lui donner un peu plus de moyens. Cette pensée naïve qui donne à la science le rôle de religion et aux chercheurs leur attribue celui de prêtres peut être très dangereuse, car elle déresponsabilise la société, ses dirigeants et les individus qui la compose. La science providence peut nous permettre de faire tout et n'importe quoi. En fonction de ce mythe elle est, et sera toujours en mesure de nous fournir les moyens nécessaires pour faire face et réparer les dommages causés par nos comportements irresponsables.
Pourtant l'histoire de "l'affaire de la vache folle" démontre bien les lacunes de notre savoir même dans des domaines étudiés depuis des décennies, la maladie de Creutzfeld-Jakob a été décrite en 1920 pour la première fois et la tremblante du mouton est connue depuis au moins le dix-huitième siècle. Déjà, en 1936 les chercheurs français Cuillet et Chelle parlaient "d'un pathogène non conventionnel" de la tremblante. Ces deux chercheurs ont réussi à démontrer la possibilité de transmission de cette maladie entre des espèces différentes (des moutons vers des chèvres). Jusqu'à ce jour, malgré des années passées et les énormes moyens financiers mis en oeuvre les scientifiques sont totalement incapables d’apporter une réponse aux questions de base. Il existe par exemple 9 théories sur le caractère de ce mystérieux agent pathogène (virus, rétrovirus, prions etc.). On connaît très peu de choses ou presque rien sur les conditions du déclenchement de la virulence du prion-protéine, de la transmission sans ADN décelable, ainsi que l’influence que joue les facteurs environnementaux et génétiques.
Mythe n° 2
Un fait établit scientifiquement permet l’application rapide d'une technique efficace sur le terrain. Pourtant d'après une enquête menée par la BBC, malgré le dépistage obligatoire par l’une des plus performantes équipe technique biochimique du monde, pour l'abattage de 140.000 bêtes chaque semaine, on constate néanmoins qu’au moins 600 bovins malades se retrouvent dans les assiettes des consommateurs. La raison est simple : avant que la maladie ne se manifeste il est très difficile, voire impossible de détecter la présence d’agents pathogènes. Enfin, jusqu'à ce jour toutes nos techniques s’avèrent impuissantes face à ce micro-organisme qui peut survivre 24 h à une température de 160°, qui résiste aux radiations ionisantes, aux UV et qui peut sans dommage rester au moins trois mois enfoui dans le sol.
Mythe n° 3
La position sociale et le crédit accordés aux experts scientifiques ont une telle importance qu'il est impossible de nier et de remettre en cause les faits qu’ils décrivent et publient. Pourtant en mars 1989 le plus prestigieux journal de science Nature dans un article soulignait les risques de transmission de la tremblante du mouton à l'homme. Pendant sept ans les pouvoirs publics ont passé sous silence cette information et sont restés totalement sans réaction, d’autres articles publiés par la presse scientifique faisaient état et confirmaient ces découvertes. Les autorités britanniques et européennes ont même démenti des données existantes et disponibles, qui soulignaient la possibilité de transmission verticale de la maladie de la vache à son veau. Le mythe de la puissance politique qui accompagne la science permet de faire croire aux individus que les résultats scientifiques ont des répercussions immédiates dans la vie courante et sur le plan administratif. En 1988 l'équipe de chercheurs de Weybridge mettait en évidence que les farines animales étaient responsables de l'épidémie. Rappelons que les premières mesures qui visaient à interdire le commerce de ces produits n’ont été prises qu’en 1990.
Mythe n° 4
Les chercheurs sont toujours honnêtes et le seul but de la recherche est de trouver la vérité, la science de par son caractère est éthique. Malheureusement les divers "experts", comme dans le cas du nuage de Tchernobyl, ont fourni aux décideurs politiques un alibi pour justifier leur inertie et leur absence de mesure pour faire face à la gravité du problème.
Mythe n° 5
C'est un mythe réductionniste. On pense qu'un phénomène naturel et très complexe peut être réduit à une seule cause et expliqué par un seul facteur et remédié par la modification de ce seul facteur. Ainsi, suivant la tradition pasteurienne on pense qu'il suffit de déterminer et d’isoler le micro-organisme incriminé pour pouvoir trouver la solution (antibiotique vaccin etc.). C'est un mythe extrêmement pernicieux, car il est responsable d'une croyance erronée, qui laisse supposer que grâce aux techniques scientifiques il est possible et même facile de trouver une solution rapide pour résoudre des problèmes très complexes. De plus en choisissant cette option et en restant toujours optimiste on peut rejeter même les évidences. Dans le fait de la contamination à caractère alimentaire il suffit donc au regard de ce mythe, d’abattre les animaux présumés malades et d’interdire l'usage de la farine animale pour que la maladie disparaisse toute seule. On a même donné comme date la fin de ce siècle. Comme par hasard (phénomène facilement explicable par la psychologie) on préfère aussi longtemps que possible ne pas prendre en compte les informations de possibilité de contamination verticale, la possibilité de survie de ce pathogène pendant plusieurs années dans le sol, la possibilité de contamination par simple contact, l'existence de divers "réservoirs" naturels pour ce virus (prion?), comme chez certains animaux (et chez l'homme) domestiques et sauvages (les premiers cas d'encéphalopathie ont été découverts chez un bovidé africain le Nyala et des populations sauvages de bovidés et de cervidés en Afrique et en Amérique sont parfois très atteintes par l'épidémie). Ainsi on a proposé comme moyen miracle tout simple de ne pas manger de viande bovine en oubliant que la maladie à comme origine le mouton, qu'elle touche les chèvres, les animaux à fourrure (visons), les chats (recherches de Wyatt sur le chat domestique) et que cette maladie est présente chez les oiseaux (les recherches de Schoone en Allemagne ont démontré que la maladie touchait également les autruches).
Enfin le réductionnisme permet de croire qu'on peut négliger les facteurs environnementaux dans le déclenchement de la maladie. On oublie que la sauvegarde de la bio-diversité (des formes sauvages mais aussi domestiques) est la seule garantie pour limiter l'avalanche des maladies virales qui frappent les pays industrialisés depuis ces dernières années. En condamnant et en laissant disparaître des races domestiques on se prive des génomes qui naturellement résistent aux maladies et on liquide les barrières naturelles qui limitent la propagation des pathogènes ( les expériences démontrent que parmi les animaux artificiellement contaminés 78% de moutons de la race Herdwick développent la maladie, mais 0% de race Dorset Downs). Enfin on oublie de faire le rapprochement gênant entre les épidémies de grippe d'origine asiatique qui frappent de plus en plus l'Europe et l'élevage industriel de canards en Chine.
Mythe n° 6
Les techniques développées par la science sont toujours bienfaisantes, dans la médecine elles nous sauvent la vie. Les effets secondaires ainsi que les maladies iatrogènes (causées directement ou indirectement par un acte médical), même si elles existent n'ont pas d'importance en comparaison des bénéfices que nous en tirons. Il est donc préférable de ne pas penser à ces conséquences. Notre science est si efficace qu'elle permet de prévoir et de prévenir tous les dégâts éventuels. Pourtant la maladie de Creutzfeld-Jakob semble montrer l'importance de ces "insignifiants effets secondaires". Les experts sont quant à eux beaucoup plus prudents que les médias et le grand public. Par exemple, la première piste étudiée par la commission d'enquête dans l'affaire de la vache folle a été la contamination par des vaccins (par analogie avec une des épidémies de la tremblante causée par le vaccin contre le looping-ill).
Depuis 1985, il est prouvé que la maladie de Creutzfeld-Jakob est l’une des plus importantes maladies iatrogènes. Que plusieurs personnes ont été contaminées suite à une opération chirurgicale (greffes) ou par traitement avec une hormone de croissance d'origine humaine (en France 20 cas en 1993 et 34 cas en 1995).
Plusieurs autres données semblent être également très inquiétantes. Citons, les risques transfusionnels. Les cas de contamination par le sang (provenant de femmes donatrices qui par le passé ont reçu des gonadotropines) ont été démontrés dernièrement en Australie. On parle également des cas de transmission de la maladie par des appareillages qui servent à établir des diagnostics (notamment des électrodes utilisés pour diagnostiquer l'épilepsie). Enfin, la contamination du personnel médical et paramédical est de plus en plus préoccupant (en 1994, 33 cas dont par exemple celui d’un chercheur travaillant sur les greffes de dures mères de moutons et de l'homme). La contamination par simple contact est-elle possible ? Malheureusement, il est impossible encore d’exclure cette hypothèse.
Nous savons qu'il est difficile de parler d’être entendu et de convaincre des lecteurs ou un auditoire sur le caractère mythologique de certaines démarches "scientifiques". Mettre en cause "l'objectivité" de la science (déjà démontrée par les recherches de Ludwick Fleck et Karl Popper) c'est détruire un rêve sur le progrès et le bonheur. Mais nous pensons qu'il est préférable de se réveiller avant que le rêve ne se transforme en cauchemar.
Perception du mythe scientifique
La perception du monde vivant aujourd'hui telle que la reçoit nos contemporains, pour reprendre un terme à la mode peut être qualifié de virtuelle. Or, l'une des particularités du vivant se caractérise par les diverses mutations et transformations qui s'opèrent et qui sont en corrélation et en interaction avec les autres organismes vivants. De nombreuses techniques ont ceci de commun entre autres, tenter de s'opposer à cette évolution, refuser l'impact du temps en voulant masquer ou retarder les transformations.
De la perception du mythe scientifique et des progrès applicables qu’elle génère, découle généralement 4 formes de pensées :
1°) La science et la technique sont bienfaisantes. Elles concourent à améliorer la situation matérielle des individus et participent à accroître leur bien être. Les progrès nous sont indispensables et nous ne pouvons imaginer de vie sans eux. Ils seront à même de résoudre ainsi que nous l’avons dit tous les problèmes qui se poseront aux hommes et le bonheur de l'humanité en dépend et en est l'aboutissement. La justification des actions humaines trouvent leur explication dans l'hostilité environnementale qui représente le chaos originel, ou encore le désordre suprême. Vouloir ne serait ce qu’en discuter, c’est vouloir revenir au pire à l’homme des cavernes et au mieux au moyen âge. La science dans ce cas de figure est synonyme de vie. Le discours de nos hommes politiques de quelque bord qu’ils soient, entre dans cette logique, seuls les termes de croissance et de productivité sont censés pouvoir répondre aux attentes des citoyens et régler les problèmes de chômage, mal être etc. La seule différence que l’on peut noter entre les différents courants, c’est la manière dont ils les appréhendent. On peut être surpris ainsi que nous l'avons dit, de telles prises de positions, qui ne tiennent aucun compte des expériences même issues d'un passé récent. Les seules solutions préconisées sont le développement et l'accroissement des techniques qui ont conduit et participé aux situations dans lesquelles nous nous trouvons.
Dans cette optique sont évidemment occultées ou repoussées toutes objections dissonantes.
2°) La science et la technique qui en découlent sont nuisibles. C’est donc l’antithèse de la précédente, si la première a eu ses chantres avec Saint Simon, Auguste Comte, Marx, et les tenants du capitalisme libéral triomphant etc. Peu de philosophes se sont attaqués de front à la science et à ses applications. Même aujourd’hui, ses détracteurs les plus virulents ne la remettent pas en cause en tant que telle, mais s’attaquent uniquement au choix de certaines de ses applications. La science est donc bonne, mais seul le choix technologique est à revoir dans certains cas.
3°) La science et les techniques sont bonnes et mauvaises à la fois. Cette optique diffère des deux autres, bien qu’elle se rapproche de la première. Schématiquement ont peut la résumer ainsi, de chaque application issue des techniques découlent des effets positifs, qui eux mêmes engendrent des effets pervers. Toutefois, les premiers sont supérieurs aux seconds, les compensent largement et sont capables de faire face et de pallier les éventuelles nuisances.
4°) La science et les techniques sont bonnes ou mauvaises en fonction de l’emploi qu’on en fait. C’est l’opinion la plus fréquemment répandue. L’énergie nucléaire est bonne pour ses applications civiles dans ce cas elle est au service du bien ou comme outil dissuasif. Elle est mauvaise ou au service du mal, lorsqu’on s’en sert a des fins de destruction. Cette option entre dans la logique que l’homme a la possibilité de choisir la voie du bien ou du mal. Elle est aussi le point de jonction contemporain entre les religions monothéistes avec sous-jacent la notion de péché originel ici, la remise en question des progrès technologiques possibles (pour éviter les mauvais choix) et le scientisme (bon choix) nouvelle religion de l’homo technicus, qui regroupe tous les individus des sociétés industrialisées. Il est à noter que c’est le seul courant de pensée qui fasse l’unanimité.
Dans l’esprit du public, seuls les progrès issus des technologies sont censés être salutaires. L’un des paradoxes de ce système, et ils sont nombreux, c’est que les applications techniques arrivent à tant d’efficacité, qu’elles en deviennent parfois inutilisables. Quant aux expériences que nous pourrions tirer des erreurs du passé, celles-ci sont systématiquement occultées. La crise de la vache folle en est l’exemple frappant, nous savons que les farines contaminées sont pour partie tout au moins responsables*, ce qui ne nous empêche nullement de nous préparer à donner aux animaux destinés à l’alimentation humaine, du soja et du maïs manipulés génétiquement. Dans cette démarche, et personne n’est dupe c’est que primo rien n’indique de manière absolue que ces manipulations ne présentent aucun risque, et ce que les seuls à en tirer profit certain seront les laboratoires qui vont commercialisés ces produits manipulés.
L’autre exemple que l’on peut prendre, est celui des possibilités qu’offrent l’informatique, lorsqu’un utilisateur se sert d’un programme, il n’en utilise qu’une partie, les autres possibilités lui font perdre du temps lorsqu’il tente occasionnellement de s’en servir, tant et si bien qu’il finit par les ignorer. La machine destinée à faciliter le travail, finit très souvent par le compliquer et ce phénomène s’amplifie au fur et à mesure des avancées faites par les nouvelles technologies.
La profusion d’informations que nous percevons de manière irréelle par le biais des médias, nous font vivre des événements dans lesquels nous ne sommes par directement impliqués, ce qui nous prive de la relation à la réalité. Ce truchement a également la particularité outre qu’il nous désolidarise du vécu, d’émousser notre sensibilité. Nous nous trouvons donc placé dans des situations telles que les événements dramatiques qui secouent la planète parfois à quelques heures d’avion arrivent à nous laisser totalement indifférents. Si, pour des personnes d’un certain âge l’appréciation à leur juste mesure des drames, conflits catastrophes est encore possible (pour les plus critiques d’entre elles), parce qu’elles ne sont que depuis peu confrontées aux techniques modernes de communication ; il n’en va pas de même pour les jeunes générations qui sont soumises de manière intensive à des images virtuelles, qui fait qu’il leur est difficile de discerner la réalité de la fiction. Le seul moment ou il leur est possible de le faire, c’est lorsqu’un événement porte directement atteinte à leur intégrité physique ou psychique.
Il devient impératif d’avoir un autre regard sur les sciences et leurs applications technologiques. Nous ne pouvons plus dans nos argumentations nous en tenir aux définitions habituelles par lesquelles nous formulons des appréciations qui ne prennent en compte que le profit immédiat. Nous sommes obligés de constater, que la science et ce que nous appelons « progrès » visent à créer un ordre limité dans le temps à valeur humaine, dans un espace que nous aménageons de manière artificielle, en fonction de besoins artificiels passagers. Ceux-ci ne prennent jamais en compte, ni les leçons du passé, ni les besoins des générations futures. Nos techniques projettent sur l’ensemble des systèmes un désordre global, qui modifie les paramètres du vivant, dont les conséquences pour les générations à venir risque d’être catastrophique. Ce que nous percevons comme désordre et que nous modifions en un ordre justifié et limité, nécessaire à la satisfaction de nos besoins, n'est que la création d’un déséquilibre qui vise à perturber et à rompre les fragiles équilibres des différents écosystèmes. D’un point de vue social, il accroît les disparités entre pays riches et pauvres, aliène les individus, conforte les inégalités et détruits les liens sociaux. Les nuisances ainsi créées ne sont mesurables, la plupart du temps que par le constat. Ils ne sont fonction que de nos méthodes d’évaluation, qui sont elles même tributaires de nos savoirs technologiques. Ces méthodes sont obligatoirement arbitraires, puisqu'elles font appel à des techniques d’investigations évolutives. Ce qui fait qu'une substance ou un produit en fonction de nos analyses, peut être considéré anodin aujourd'hui... et dans 5 - 10 ou 20 ans reconnu toxique ou dangereux.
Nous sommes obligés de constater qu'en dépit de nos moyens actuels, nous sommes dans l'incapacité comme le démontre la crise de la vache folle et les différents problèmes auxquels l'humanité est confrontée, de mesurer les processus irréversibles et inattendus que provoquent nos activités industrielles et les modifications qu’elles entraînent au sein du système vivant. Ceci est d'autant plus préoccupant que les catastrophes (comme Tchernobyl par exemple) sont toujours d'un genre nouveau et par ce fait même imprévisibles.
Jean Aikhenbaum
Piotr Daszkiewicz
* il existe bon nombre d’autres hypothèses actuellement, vaccinations, répercussions de diverses pollutions, moyens utilisés pour l’éradication du varron parasite des bovins (organochlorés associés aux organophosphorés) etc.