UN ASPECT MECONNU DU GRAND PUBLIC
LA LOI DES SIGNATURES
En Afrique, les jeunes filles utilisent, une "plante magique", le saucissonnier "Kigelia africana" afin d'augmenter la taille et le volume de leurs seins, ainsi que pour soigner la stérilité. Au Nord de l'Europe, les scandinaves depuis les temps préhistoriques, traitent les maladies respiratoires avec le "Lobaria pulmonaria". Le saule "Salix sp." guérit les rhumatismes et le marron d'Inde est censé soigner des hémorroïdes.
Ces quatre plantes médicinales sont utilisées par des civilisations différentes, à diverses époques pour traiter des maladies différentes. Les découvertes de leurs vertus ont été faites sans aucune corrélation. Pourtant, elles ont indéniablement des facteurs communs. Toutes quatre ont été découvertes grâce à la loi des signatures. Les fruits du saucissonnier ont une apparence phallique. Le "Lobaria pulmonaria" est un lichen foliacé qui ressemble à un lobe pulmonaire. Le Saule pousse fréquemment dans des terrains inondés et marécageux et c'est un fait connu, les rhumatismes sont influencés par l'humidité. Les racines de marronnier d'Inde ressemblent à des veines hypertrophiées.
Dans ces quatre exemples, la science moderne confirme les vertus thérapeutiques évoquées par les signatures. On a même réussi à identifier et à isoler des composants chimiques qui "traduisent l'action thérapeutique du langage de la doctrine des signatures vers le langage de la chimie des médicaments du vingtième siècle". Le "Kigellia africana" contient des stérols dont la structure chimique est identique aux hormones sexuelles. Le saule contient des dérivés salicylés (comme l'aspirine). Un acide, proche de l'acide cétratrique, connu pour son fort pouvoir antibiotique a été isolé à partir du "Lobaria pulmonaria". Les saponsides anti-inflammatoires justifient les vertus du marronnier d'Inde.
Quelle est cette "formule magique" qui permit de découvrir les vertus de diverses plantes ?
Comment les civilisations "primitives" ont-elles pu arriver aux mêmes conclusions et aux mêmes résultats que les occidentaux du vingtième siècle. Nos ancêtres ne disposaient ni de labos, ni d'appareillages sophistiqués ni de chromatographie. Qui a été le premier à formuler la loi des signatures ?
Nous ne pourrons jamais découvrir l'inventeur de cette doctrine, elle est probablement apparue avec les premiers hommes. On ne peut même pas déterminer quelle civilisation ou quel continent a été le précurseur pour déchiffrer les signes divins pour se soigner. Pour les européens, cette doctrine est liée à la médecine et à la philosophie de Paracelse. Certes, il a formulé l'ancienne règle en loi "simula similitibus curantur", et il l'a enseigné sur les chaires de médecine des écoles allemandes, italiennes et autrichiennes. Simula similitibus curantur (les semblables sont guéris par les semblables) prétend que chaque plante porte un signe qui indique sa prescription. Par exemple une feuille en forme de coeur doit soigner des troubles cardiaques, celle en forme de foie et les fleurs de couleur jaune sont bonnes pour la jaunisse (un chapitre est consacré à la présentation des signes). Le "Giambattista della Porta" associa la botanique à l'astrologie et consacra son ouvrage "Phytognomococa" à la recherche et à la description des signatures en relation avec le cosmos.
La base théorique de cette loi fait partie de la conception hippocratique et est connue de la Grèce Antique. Mais c'est probablement au seizième siècle que la doctrine des signatures entre dans le canon de la connaissance médicale et de la philosophie occidentale. C'est aussi à cette époque que les voyageurs et les conquistadors espagnols en particulier, découvrirent que cette loi n'appartenait pas qu'aux européens. Au temps de Paracelse, la doctrine des signatures est devenue le véritable paradigme de la connaissance humaine.
On peut se demander pourquoi une découverte ou même une hypothèse se manifeste à une époque plutôt qu'à une autre. Fleck, dans son ouvrage sur la naissance du fait scientifique, démontra que les démarches épistémologiques sont toujours conditionnées par des circonstances sociales et des idées de base. Il constata également que même les faits scientifiques ne sont jamais entièrement objectifs. L'homme doit être préparé à observer des faits. Dans le cas contraire, les observations et les découvertes demeurent inaperçues, mal interprétées ou rejetées. Il est évident que l'époque de Paracelse favorisait la redécouverte, la propagation et la prédisposition pour la doctrine des signes. Tout d'abord parce que l'homme (mais également l'homme de science) vit en ayant conscience de l'omniprésence divine et de la peur de la mort. Il s'adresse à Dieu, et lui demande de prendre en compte ses malheurs. La certitude que nous ne sommes pas seuls avec nos maladies prédomine dans ce contexte philosophique car "La providence veut que l'homme soit sujet à toutes sortes de maladies, mais elle a eu en même temps, le soin de faire pousser sur la terre des plantes appropriées à la guérison de chacun de ses maux".
Dans la conception des alchimistes, et de Paracelse en particulier, c'est la vision des relations entre micro et macrocosme qui est la base importante pour la doctrine des signatures, car "il y existe une correspondance entre ce qui se passe dans les astres et ce qui se passe sur terre, une influence du Ciel sur les objets qui constituent la Nature".
Cette idée a joué un rôle important dans la philosophie du seizième siècle. La théorie des signatures est en accord avec la vision que les alchimistes ont de la matière, c'est-à-dire avec la conception de la transformation. C'est en effet la Nature qui impose un signe sur "la matière première" (amorphe) et la transforme en "matière ultime", celle possédant la forme caractéristique liée aux vertus médicinales.
Les alchimistes, et surtout Della Porta et Paracelse ont développé toute une théorie de la cosmogonie des signes. Il faut remarquer que les principes de cette théorie sont identiques ou au moins presque identiques dans toutes les civilisations. Les signes peuvent être assimilés aux symptômes, aux causes des maladies, ou aux organes (signes organoleptiques, et éventuellement aux processus physiologiques) du corps humain. La Ficarie (Ficaria sp.) est le bon exemple de signe "symptomatique": ses racines sont enflées en forme d'hémorroïdes d'où elle tire son nom vernaculaire "l'herbe-aux-hemorroides". Les plantes dont l'apparence est proche de la forme de serpents ou de scorpions ont été longtemps utilisées pour neutraliser l'action des venins. Elles appartiennent au groupe de signes "causals" (liée à la cause de maladie). Dans certaines cultures, l'utilisation de ces signes allait jusqu'au traitement des blessures faites par les flèches, avec les plantes qui servaient à la fabrication des flèches.
Les signes organoleptiques étaient probablement les plus fréquents. Les plantes qui ont la forme du foie (comme l'Hepatica nobilis) ou des poumons (comme le Lobaria pulmonaria) sont présentes dans toutes les ethnopharmacopées. Enfin, il ne faut pas oublier les signes assimilés aux processus physiologiques. Les plantes à suc blanc étaient censées stimuler la lactation. Chez les indiens, la pierre rouge "eztetl" avait le pouvoir d'arrêter l'hémorragie.
Quels étaient ces signes ? Souvent, c'est la morphologie d'une plante (ou d'une partie) qui constitue le signe. Les feuilles de l'Hepatica nobilis (anémone hépatique) sont découpées en trois lobes profonds, qui ont la forme du foie. Ainsi, le thalle du "Lobaria pulmonaria" fait penser aux alvéoles pulmonaires. Les couleurs constituent la deuxième grande classe des signes. Les plantes jaunes sont souvent utilisées dans le traitement de la jaunisse ou les affections de la vésicule biliaire. Souvent, ces deux signes (la morphologie et la couleur) sont présents ensemble. Les feuilles de la pulmonaire ont l'apparence des alvéoles par leur forme mais aussi par leurs tâches blanches. La couleur rouge de la partie inférieure d'une feuille d'anémone hépatique renforce sa similitude avec le foie. Le goût et l'arôme sont aussi les signes utilisés par l'homme. Toutes les parties d'une plante peuvent constituer des signes: la racine (Ficaria, Orchidées), la tige (les lianes), la fleur (Sarothamnus), le fruit (Kigleya) mais aussi le latex (Chelidonium majus). Dans la tradition chinoise, on a utilisé aussi la répartition anatomique des signes: les boutons et les fleurs représentaient les parties supérieures du corps et les racines les parties inférieures. Les signes peuvent être liés non seulement à la plante, mais aussi à son écologie. Le saule et la reine-des-prés utilisés comme antifébrifuge et pour soigner les rhumatismes appartiennent à la classe de signes définis par l'habitat car toutes deux poussent sur des terrains souvent inondés.
L'homme a souvent cherché les capacités particulières des organismes afin de les déchiffrer. Ainsi, en Amérique du Sud, on utilisait la peau de nandou contre les maux d'oreilles, en raison des grandes oreilles que possède cet animal. A cause du courage et de la force du tigre, les Chinois utilisent la poudre de ces os comme une panacée nécessaire pour retrouver les forces de l'organisme affaibli par la maladie. Les fleurs de Millepertuis sont jaunes mais si on les écrase entre les doigts elles deviennent rouges, ce qui fait penser à la réaction de la peau aux brûlures de soleil (c'est pour cette raison que les fleurs de cette plante sont utilisées dans de nombreuses crèmes cosmétiques).
Il ne faut toutefois pas oublier que certains signes n'ont jamais été confirmés (par exemple l'utilisation de noix, qui par sa forme ressemble au cerveau, n'a jamais montré une quelconque efficacité contre les maux de tête). Pour découvrir certains signes, l'homme observa des animaux comme dans le cas de la chélidoine (d'après une tradition populaire cette plante est utilisée par les hirondelles). Les signes liés au système reproductif de l'homme (phallique, testiculaire ou vaginal) constituent une grande partie des aphrodisiaques, mais également des plantes antisyphilitique. Il ne faut pas oublier la catégorie des signes linguistiques, où le nom de la plante nous indique ses propriétés. Depuis longtemps cette catégorie semble être secondaire, car l'homme à tout d'abord découvert les caractéristiques des végétaux et les a ensuite nommés. L'acceptation de l'existence des signes linguistiques demande obligatoirement l'acceptation de l'existence de "noms primaires" (censés exister avant la connaissance). Par ailleurs, il faut souligner que certaines conceptions psycholinguistiques (sur les relations entre le cerveau, l'espace, le temps et la langue) tentent d'expliquer ce phénomène. L'homme a toujours cherché la panacée à ses maux. La logique de la théorie des similitudes porte sur la recherche d'une plante qui possède le plus grand nombre de signes possibles. C'est de là que découle les recherches sur des plantes qui ont la forme du corps humain comme la mandragore et le ginseng.
Des résultats de découvertes empiriques qui n’ont à l’heur actuelle pas délivrés tous leurs secret.s
Nous avons commencé ces quelques réflexions par les exemples des signatures qui sont confirmées par la biologie moléculaire. Nous pouvons démontrer que de nombreuses signatures utilisées par le passé n'ont aucun pouvoir thérapeutique (ou peut-être n'ont-elles tout simplement pas encore livré leurs secrets à nos laboratoires). Cela signifie-t-il que la doctrine des signatures n'est pas crédible ? Que toutes les plantes découvertes par cette loi sont le résultat d'un jeu de hasard ? Ou peut-être que ce sont de "faux signes" (mal choisis ou mal interprétés) qui ne sont pas le reflet de la conception exacte ? Il est certain que la doctrine des signatures a été une hypothèse pour un travail de recherches qui a donné des résultats très intéressants. Elle permit non seulement la découverte de nombreuses plantes médicinales, mais il ne faut pas oublier que Paracelse son ardent partisan, est à l'origine des bases de la chimie et de la pharmacologie moderne. Même ceux qui ridiculisent les signatures ne peuvent pas occulter l'importance de l'apport que peut avoir cette théorie dans le domaine de phytothérapie.
Piotr Daszkiewicz
JeanAikhenbaum
Sources :
Réussir votre santé 1996
Jean Aikhenbaum – Piotr Daszkiewicz - Le pouvoir de guérir par la Nature – Editions Christian Godefroy