« il existe une foule de nobles qui passent leur vie à ne rien faire, frelons nourris du labeur d’autrui, et qui, de plus, pour accroître leur revenus , tondent jusqu’au vif, les métayers de leurs terres. Ils ne conçoivent pas d’autres façons de faire des économies, prodigues pour tout le reste jusqu’à se réduire eux-mêmes à la mendicité. Ils traînent avec eux des escortes de fainéants qui n’ont jamais appris aucun métier…. ». Thomas More – Utopie – Le monde de la philosophie – éditions Flammarion
Il n'était pas rare, l'an dernier, d'entendre les Américains les plus francophiles déclarer — même avant boire : « En Europe, il n'y a qu'un pays qui se soit adapté à l'après-guerre, c'est l'Allemagne ». Cela voulait, dire simplement que les fiers Yankees reconnaissaient dans les Allemands des élèves — les seuls élèves, heureusement.
un monde nouveau voulait naître...
Tous les principes de « l'économie rationnelle » dont l'Amérique s'enorgueillissait — généralisation du crédit, hypothèque permanente sur l'immanquable succès de demain, substitution de la confiance à l'épargne — tout cela, l'Allemagne l'avait adopté et l'appliquait avec conviction ; les mines, les villes, les métros même se transformaient à vue d'oeil ;
Il faut admettre que c'est une si touchante sympathie dans les principes qui a décidé tant de capitaux américains à se risquer dans les constructions pseudo-rationnelles de l'Allemagne : une sorte de voix du sang financier... Car il ne suffit pas de dire que ces prêts rapportaient dix et onze pour cent. Au contraire. Ce sont là des taux qui, normalement, inquiètent. Au pays de Moustafa Kémal, on emprunte couramment à 16, 18 pour cent. A-t-on vu les capitaux américains affluer en Turquie ?
La nouvelle économie n'a pas réussi à l'Amérique, qui est pourtant le pays du monde où l'expérience était le moins gênée : pas de crise nationale, pas de mouvements sociaux appréciables, unanimité dans l'orgueil et dans la confiance, sentiment net et justifié d'être les vainqueurs des vainqueurs...
Comment, dès lors, l'expérience eût-elle pu réussir dans une Allemagne vaincue, avide de revanche, ravagée de haines, patrie du socialisme ? C'était folie. Le parti monstrueux, à la fois communiste et raciste, qu'a fondé Hitler, ne tait que présenter, sous une clinique, la montruosité dont l’Allemagne dite « modérée » , vit et meurt depuis la guerre....
.... bref, il s’agissait de supprimer les causes politiques et économique de la panique,de désavouer les idées de revanche et d’arrêter le gaspillage. Berlin n’a pas voulu. Une démarche désespérée auprès du président Hoover, qu'on s'était un peu vite représenté comme le dompteur naturel du fauve français, n'a abouti à rien. Deux démarches de M. von Hoesch auprès de M. Laval ont été, dit-on, pathétiques, mais infructueuses. Il ne restait plus, à la veille de l'échéance du 16 juillet, qu'à demander à la B.R.I., à Bâle, et aux banques d'émission de Londres, de Paris et de Washington, de ne pas réclamer les 100 millions de dollars exigibles de la Banque d'Empire. Cela du moins a été obtenu, mais ça n'a été qu'une goutte d'eau vite épuisée.
Le Reich en est donc réduit à tâcher de se sauver seul. ………Quand la crise s'est aggravée et qu'il est devenu évident que l'argent étranger n'interviendrait pas, le gouvernement a eu recours à des mesures peu cohérentes, les unes timides, les autres brutales, destinées surtout à gagner du temps : fermeture des bourses pour 48 heures, limitation des remboursements de dépôts par les banques et les caisses d'épargne, proclamation patriotique au peuple pour l'inviter à la confiance et à la discipline... Mais, de mesures radicales, on n'en avait encore pas pris le 15 au soir ; on hésitait même encore entre deux formes, ou du moins deux avenues de l'inflation : recours à une monnaie supplémentaire, pour l'usage interne, la rentenmark d'illustre mémoire ; ou bien l'abaissement du taux légal de couverture or de la Banque d'Empire de 40 à 30 pour cent, avec émission de nouveaux millions de marks....
…..Tout se passe donc comme si l'unique souci de M. Brüning était de gagner du temps. Pourquoi ? Attend-on une pression de M. Henderson ou de M. Stimson à Paris ? Attend-on la conférence d'enterrement du plan Young et les inévitables querelles des ex-alliés ? Attend-on l'extension de la crise aux places étrangères et la panique à Londres, ou à Bâle, ou (qui sait ?) à Paris ? Prépare-t-on un de ces coups de théâtre politiques auxquels le tempérament allemand ne répugne pas et que la présence de M. Schacht, candidat dictateur, à la tète des entreprises de salut financier, ne rend pas improbable ?
Attend-on seulement (c'est la politique de tant de gouvernements !) que les choses s'arrangent toutes seules, en bien ou en mal ? Ou plus simplement encore, se rend-on compte que le problème est insoluble ?
Attendons, nous aussi, et réjouissons-nous - provisoirement - de ne pas voir l'argent de nos caisses d'épargne ou de nos assurances sociales prendre la route du néant, via Berlin.
toutes les banques s'acharnent contre la Danat. Seule la Deutsche Bank demeure intacte, respectée par ces fougueux adversaires des banques .... Et puis c'est la fin : le 10 juin, la grande firme de La Nordwolle s' écroule. Certes, la Danat ne perd dans l'affaire que 25 millions de marks sur les 240 du passif avoué. Mais cela tombe mal : cela se combine avec les retraits accélérés de capitaux étrangers, avec d’autres krachs de moindre envergure dans firmes du bâtiment, avec un assainissement sévère de la société Karstadt - toutes entreprises que l'orgueilleux Jacob avait conquises » à son contrôle. Le jour même où la presse de gauche réclamait des sanctions contre les frères Lahusen, les propriétaires malheureux de la Nordwolle, l'organe d'Hitler ripostait en gros caractères :
« A quand l'arrestation de Jacob Goldschmidt ? » Ce fut le signal...
Le 11, on apprend que les disponibilités liquides de cette banque colossale ne dépassent. pas 60 millions de marks: Goldschmidt avait, en effet, pour maxime que, moins on garde chez soi de capital, plus on augmente ses chances de gain. C'est vrai... mais.... le 12 juillet, la Danat doit envoyer au gouvernement l'appel de détresse.
Dans la nuit de dimanche à lundi, il est question de renflouer la banque : l'ampleur du gouffre ne le permet pas. Alors, le gouvernement convoque les directeurs des principaux établissements de crédit pour leur demander de l’aider à sauver la Danat, d'enpêcher une faillite fatale au pays. Tous acceptent, tous sauf un : von Mauss. Et c'est la panique, l'affolement, les ruines, les pleurs.
…….Tout est un éternel recommencement. Jacob Goldschmidt a, pendant des mois, des années, rêvé de vaincre Hugo Stinnes. M. von Stauss n'a qu'un but dans la vie : abattre Jacob Goldschmidt. Il a pour lui d'être l'ami intime d'Hitler.
Depuis le krach américain, M. von-Stauss a bien senti que son heure allait sonner. Les fonds américains placés à la Danat étaient, en effet, considérables. Retirés presque du jour au lendemain à la suite du krach, ils mettent en péril l'équilibre de la banque, qui ne peut plus fournir son appui financier à des sociétés aussi nombreuses, à des industries atteintes à la fois par la surproduction et par la sous-consommation.…
L’Opinion allemande... La France ennemie héréditaire....
Nous avons recueilli ici quelques-unes des opinions les plus caractéristiques exprimées à l'annonce de la visite des ministres français à Berlin par les journaux allemands de tous les partis politiques. Nous les reproduisons en partant de l'extréme-droite hitlérienne jusqu'à l'extrême-gauche communiste. C'est la France qui doit rendre des comptes et donner, proclame la presse du chancelier Brüning.
L'article publié sous le titre de « La visite à Berlin » par la Germania, organe du Centre catholique et du chancelier Brüning, a eu un retentissement très grand, étant donné son caractère officiel. En voici les phrases les plus significatives :
C'est à la France de montrer maintenant si elle est prête à collaborer solidairement à la tâche européenne... Il faut bien dire que le discours de M. Curtius (pour l'égalité des armements et l'abolition des réparations) est une préparation au voyage français à Berlin... La France doit reconnaître que, pas plus qu'hier, les questions politiques (les garanties demandées par M. Laval contre son assistance financière) ne peuvent être mêlées aux transactions financières...
Cependant, les peuples ne peuvent échapper à deux questions politiques, exposées, celles-là, à Genève par M. Curtius... qui, sur ce point, peut s'appuyer sur le peuple allemand tout entier... Les raisons de la crise résident dans les effets des réparations, la charge des dettes et dans la course aux armements entreprise par certains Etats sous la conduite de la France...
Les journaux soumis directement à l’influence de M. Hagenberg, conforment tous leurs jugements aux discours prononcés par celui-ci au congrès du parti national-allemand à Stettin. Or, le magnat de la presse a déclaré qu'a l'occasion de la visite française il fallait stigmatiser la politique de servitude menée par M. Brüning, en accord avec ses alliés sociaux-démocrates. Le Berliner Lokal Anzeiger, national allemand, et la Deutsche Fugeszeitung agrarienne, se signalent particulièrement a leurs lecteurs les jugements suivants du grand chef :
Nous devons déclarer ouvertement que la politique extérieure du ministère Brüning : alliée aux socialistes, ne nous engage en aucune manière pour le jour où l'opposition nationale prendra le pouvoir. Je dis cela surtout en pensant aux négociations avec la France.
Nous devons d'ailleurs répéter aussi que la conduite des grandes négociations internationales doit appartenir désormais à la droite, car le développement de l'affaire austro-allemande a montré la façon lamentable dont était dirigée notre politique extérieure avec le cabinet actuel.
L'Allemagne a besoin d'espace et de liberté. Il ne s'agit pas de revanche, puisque nous n'avons pas été vaincus par les armes. Mais la France devrait comprendre que, dans son propre intérêt, elle devrait renoncer à sa politique actuelle, dont on ne sait trop si le ressort est la soif d’hégémonie, le sadisme ou la suffisance....
Choix de textes Jean Aikhenbaum