Chapitre 2
Le "Faux-aurochs" et la protection de la nature
Dans les campagnes d’information et de propagande pour valoriser cet animal, l’accent est mis sur un aspect bien particulier auquel le grand public est à juste raison extrêmement sensible, celui de la préservation et de l’amélioration de nos espaces naturels. L'élevage, la commercialisation et les opérations qui visent à relâcher ces vaches dans la nature, sont des actions qui ont un impact "écologique" particulièrement bénéfique puisqu’elles s'inscrivent de manière logique dans une politique de protection de la nature (dixit SIERDAH).
Qu’en est-il réellement, de l’introduction de cet animal dans l’environnement ?
Le "faux-aurochs" est un métissage très récent de diverses races réputées anciennes. Cet animal, n'a jamais vécu dans la nature. Il est impossible de prétendre sérieusement qu'il faisait (ou fait) partie de la faune sauvage. Nous venons de dire, qu’il s’agit d’une race très récente, elle n’a jamais été élevée par des paysans, dans quelque région que ce soit. Ce faux aurochs, ne peut prétendre faire partie du patrimoine qui accompagne à juste titre les races traditionnelles. Plusieurs motivations animent habituellement les promoteurs d’actions, de gestion et de conservation, qui se rapportent aux races bovines, aux différentes espèces animales et végétales. Celles-ci sont souvent accompagnées de la recherche et de la valorisation d’une identité culturelle régionale spécifique.
Or, la seule identité culturelle qui se rapporte à cet animal, correspond à l’une des images les plus sombres de toute l’histoire humaine, celle de l'Allemagne nazie.
Cette race, est médiatiquement associée de façon totalement abusive à l'aurochs, ou "à un animal disparu que le savoir humain serait parvenu à ressusciter". Par cette association, contraire à toute vérité, les "faux-aurochs" jouissent d'un grand engouement médiatique. De toute évidence, les projets liés à cette race bovine récente, se trouvent dans une position privilégiée dans la recherche de financement par rapport aux projets écologiques sérieux, honnête, qui tente avec beaucoup de courage et souvent de difficultés de protéger un réel patrimoine faunistique. Cette exploitation est savamment entretenue, ne serait-ce qu’au travers des informations distribuées dans les parcs où cet animal est présent (voir annexe 4).
Une seule phrase, sur le "faux-aurochs" est significative : Enfin, face aux résultats obtenus par les frères Heck, il convient de rester humble et de bien entrevoir les limites d'une telle reconstruction : en effet, que l'Homme soit capable de "ressusciter" une espèce disparue ne doit pas cacher le fait que les différentes civilisations ont sonné et continuent de sonner le glas de nombreuses autres espèces.[1]
Le message du SIERDAH est clair, l'homme a reconstruit une espèce disparue. Demandez à n'importe quelle personne de votre entourage quelle doit être la priorité en matière de dépenses dans le domaine qui touche à la protection du patrimoine naturel :
- financer les travaux pour favoriser le "retour d'un animal disparu, qui de plus est l’ancêtre de toutes nos races bovines, miraculeusement ressuscité grâce aux efforts et au génie des scientifiques" ;
- financer la sauvegarde d'une race bovine locale[2], l’une parmi plusieurs dizaines menacées de disparition[3] ;
- ou encore financer un inventaire naturaliste d'un groupe faunistique, "peu médiatique" (par exemple les annélides).
La réponse ne fait aucun doute. Un travail nécessaire, peu spectaculaire est incapable de concurrencer un projet digne d’un scénario des films de Steven Spielberg[4]. C'est l’autre aspect immoral de l'affaire du "faux-aurochs". Non seulement, nous avons affaire à une supercherie scientifique nazie, mais dans le contexte actuel, c'est en plus un cas flagrant de concurrence déloyale dont font les frais les éleveurs et gestionnaires de races locales menacées de disparition et d’une manière générale tous les autres projets qui ont pour but, la protection de la nature. Ceci est d'autant plus dramatique que, aujourd'hui, des projets naturalistes de très grande valeur ne peuvent être concrétisés en raison d’un total désintérêt médiatique. De ce fait, ils ne peuvent trouver de financement et par la force des choses sont abandonnés.
Il existe, un autre aspect de cette supercherie qui doit être évoqué. Les mouvements (politiques, associatifs, professionnels) de protection de la nature gênent de plus en plus les intérêts économiques et politiques de lobbies très puissants (chasseurs, promoteurs immobiliers, opposants à certains aménagements du territoire, lobby nucléaire etc.). Il est bien connu qu'à plusieurs reprises ces groupes ont de diverses manières tenté de discréditer les mouvements écologistes aux yeux du grand public. Anna Bramwell, dans un excellent ouvrage[5], relate les moyens employés par ces groupes contre les partis verts allemands, manoeuvre qui consiste à démontrer que les mouvements écologistes trouvent leur origine dans... le nazisme. Dernièrement ce type d’argumentation a été repris par le lobby des chasseurs français[6] et par des mouvements anti-écologistes aux Etats-Unis[7].
Bien évidemment, cette argumentation est entièrement fausse et absurde, même si le mouvement nazi allemand, faisait siennes, certaines idées et organisations de protection de la nature. Ces idées n’étaient pas nouvelles, elles existaient en Allemagne déjà à l'époque de Weimar et même dans l’Allemagne Impériale, bien avant la première guerre mondiale.
Il est aisé de démontrer que les mouvements modernes de protection de la nature, trouvent ailleurs leur origine. Ils sont issus de la réflexion scientifique naturaliste du dix-neuvième et du début du vingtième siècle (comme dans les premiers travaux biocénotiques de K.Mobius ou dans les débuts de la phytosociologie de J.Paczoski). Ils sont ancrés dans les mouvements sociaux, profondément démocratiques, comme le mouvement français contre l'usage de la plume à parure, ou dans la philosophie de la "désobéissance civique", prônée par le philosophe américain Henry Thoreau, ou encore dans la vaste campagne de reconstitution de la population du bison animée par William Hornaday[8].
Les individus (ou les groupes d’intérêts), qui essaient à l’aide d’une "fausse historiographie", de discréditer les écologistes ne prennent guère en compte la vérité historique. L'association éventuelle (par ailleurs entièrement fausse) d’un mouvement de protection de la nature à une telle supercherie nazie qu’est ce "faux-aurochs", est un argument qui peut être facilement utilisé dans une propagande anti-écologiste de mauvaise foi. Bien entendu, par avance, nous nous opposons fortement à la reprise de nos propos pour véhiculer de telles idées, qui sont à l’opposé des nôtres et nous espérons que les associations qui oeuvrent pour la protection de la nature ne seront pas les futures victimes (heureusement, uniquement médiatiques) de cette supercherie.
La protection de la nature selon les conceptions de Heck
Bien avant la guerre, Heck s’était intéressé à la forêt de Bialowieza, aux chevaux primitifs "konik Polski" et aux troupeaux de bisons d'Europe reconstitués par les naturalistes polonais. Dans l’Allemagne nazie, Heck était considéré comme le "führer de la protection de la nature". Hitler, personnellement s’est impliqué non seulement dans l’histoire des "faux-aurochs", mais également dans celle des bisons d'Europe[9]. Cette période a été à tel point pour lui marquante, que dans les rares publications qu’il a publié après la seconde guerre mondiale, c’est avec nostalgie qu’il en parle. A partir de ses propos, nous pouvons déduire que Bialowieza a connu "grâce au génie du führer" et à l'occupation allemande, "une période privilégiée". Le "professeur Heck" avait prévu pour la Forêt de Bialowieza un destin bien particulier. Il expliquait dans un article intitulé "Les Nouveaux devoirs pour la Protection de la Nature - Parcs Nationaux pour la Grande Allemagne" publié en mars 1940 dans le Voelkischer Beobachter[10] : que cette forêt appartenait désormais à jamais au Reich Millénaire et doit tout d'abord être au service de la grandeur et de la victoire de l'Allemagne nazie.[11]De quelle façon, Heck concevait-il la "protection de la nature", quels moyens employait-il pour parvenir à ses fins, et quel a été son rôle lorsque Bialowieza était placé sous ses auspices ? Ses agissements étaient à tel point préoccupants, que pendant la guerre et l'occupation allemande de Bialowieza, les naturalistes des pays libres, faisaient part de leur inquiétude, quant à la survie des troupeaux de bisons sous "la bienveillante protection allemande"[12].
Afin de rétablir la vérité historique, sur la participation de Heck dans les crimes nazis, nous avons décidé de traduire quelques fragments d’articles de la presse naturaliste polonaise parus tout juste après-guerre. Ces textes peu connus en occident, ont une valeur exceptionnelle du point de vue de l'histoire des sciences naturelles. Ils proviennent des rapports d’experts reconnus pour leur indépendance et leurs hautes compétences professionnelles. Ces derniers avaient pour mission, d’examiner scrupuleusement sur le terrain, les répercussions des "travaux scientifiques" de Heck et de ses acolytes. Ces naturalistes ont réussi depuis, grâce à des efforts considérables, à réparer - du moins en partie - les déprédations commises par Heck.
La protection de la forêt de Bialowieza et les nazis
articles parus dans la presse naturaliste après la guerre.
La publication de ces textes devrait suffire à mettre fin aux contre vérités que l’on trouve dans les campagnes de désinformation destinées à la promotion des "faux-aurochs" sur :
. les compétences professionnelles de Heck en tant que naturaliste et sur ses activités "écologiques" ;
. l’efficacité des nazis dans le domaine de la protection de la nature ;
. les conséquences réelles des interventions de Heck dans la protection du bison d'Europe et dans celles des troupeaux de "konik Polski" ;
. les événements qui se sont déroulés dans la Forêt de Bialowieza sous l'occupation allemande ;
Les occupants faisaient régner à Bialowieza de façon constante, un climat de terreur particulier. Une potence avait été dressée à proximité du palais du parc, pour les exécutions capitales qui se déroulaient en public. Un peu plus loin, dans le quartier de la poste les prisonniers étaient déchiquetés, jusqu'à ce que mort s’ensuive, par des chiens spécialement dressés à l’attaque. On peut trouver les témoignages qui relatent les activités de la résistance, les tombes des partisans et des victimes civiles assassinées par les allemands, qui seront par la suite conservées dans le mémorial du Parc National.
Tadeusz Szczesny Ochrona Przyrody w Puszczy Bialowskiej Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946 p. 16
Les installations destinées à l'élevage des ours n'existent plus. Leur reconstruction n'est pas pour le moment possible. (...) D'après des sources non confirmées, il existerait encore dans la Forêt de Bialowieza quatre spécimens, un mâle, une femelle et deux petits. Ces ours seraient les seuls animaux encore vivants de l'élevage qui avait débuté dans les années qui ont précédé la guerre.
Tadeusz Szczesny Ochrona Przyrody w Puszczy Bialowskiej Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946 p.17
Les environs du palais ont été (lors de l’occupation P.D et J.A) considérablement endommagés. Plusieurs dizaines d’arbres ont été abattus. Le palais du Président de la République a été brûlé et l’incendie a détruit en grande partie les collections réquisitionnées par les allemands. Parmi celles-ci se trouvait, une collection unique d’objets rares qui retraçaient le savoir faire traditionnel des apiculteurs de la Forêt de Bialowieza. Tous ces outils et objets avaient été retrouvés, restaurés et réunis avant la guerre grâce à l’énorme travail du Dr ingénieur J.J. Karpinski. Parmi les collections brûlées, se trouvaient une collection botanique et phytosociologique[13] et une collection entomologique de très grande valeur. La bibliothèque et les archives photographiques ont été également partiellement détruites.
Tadeusz Szczesny Ochrona Przyrody w Puszczy Bialowskiej Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946 p.17
En 1942, le troupeau de bisons a subi des pertes importantes qui soulignent bien " les soins, on ne peut plus spécifiques" que les allemands se glorifiaient de donner à ces animaux. Trois spécimens sont morts, des suites d’infection ou par épuisement. La même année, un mâle dénommé "Milis", originaire du Parc Zoologique de Kowno a été abattu au mois de décembre. (...) L'année suivante, en 1943, quatre autres bisons ont succombé. Parmi les pertes de cette même année, il faut souligner la mort de "Biserta", l’une des femelles du troupeau réintroduite avant la guerre, abattue "probablement" par Goering au cours d’une chasse.
Tadeusz Szczesny Ochrona Przyrody w Puszczy Bialowskiej Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946 p.18
Avant-guerre, il existait dans la Forêt de Bialowieza une réserve d’élans, qui comptait en 1939, dix animaux. Avec les bisons d'Europe, les "konik Polski", les ours, l'élevage d’élans était l’un des constituants de la politique environnementale de la Pologne de cette période. Elle avait pour objectif principal, le retour dans leur habitat naturel de ces espèces. Les allemands mirent un point final aux efforts de l'administration polonaise et le résultat est qu’actuellement, il n'y plus aucun élan dans la forêt de Bialowieza.
Tadeusz Szczesny Ochrona Przyrody w Puszczy Bialowskiej Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946 p.19
Lorsqu'au mois de juillet 1939, j'ai effectué le dernier contrôle, juste avant la guerre de la réserve, afin de dénombrer les "konik Polski", j’ai pu recenser 39 chevaux. Après mon départ, une jument accoucha d’un poulain. Ce qui fait qu’au début de la guerre, le nombre d’individus qui composait le troupeau se chiffrait à quarante. Parmi les chevaux tués par les nazis, se trouvait l’étalon Liliput abattu en 1940 pour son squelette, cet animal représente une perte immense. En 1944, la jument Liliputka II, soi-disant malade, a été abattue par un certain Schultze, garde forestier allemand, qui récupéra la viande de l’animal pour sa consommation personnelle. (...) Les Allemands volèrent tout d'abord 20 spécimens, puis en février 1942 sept autres[14]. (...). Le premier, le plus important "envoi" de 27 de nos plus précieux chevaux "konik Polski" en Allemagne, a été effectué avec la participation (ce fait est prouvé) et probablement sur l'initiative du Dr Lutz Heck, directeur du Jardin Zoologique de Berlin, qui était l’autorité dans le domaine de la protection de la nature en Allemagne nazie, ce vol a été perpétré avec la complicité de son frère Heinz Heck qui était directeur du Jardin Zoologique de Munich.
Cet envoi a été fait, dans des wagons aménagés, vers les parcs zoologiques de Berlin Krolewiec (Koenigsberg) et de Munich.
Indépendamment de cet "envoi", en 1943, les allemands expédièrent vers l’Allemagne, sur un site indéterminé, deux autres chevaux et au mois de mai 1944, trois autres chevaux furent acheminés vers une propriété privée appartenant à un certain Frevert, major de la Luftwaffe et commandant de la garnison allemande de Bialowieza. Ce qui fait que les allemands volèrent au total 32 spécimens du konik Polski.
Voici de quelle manière, s’est effectuée réellement la protection de la réserve des chevaux "konik Polski" dans la forêt de Bialowieza[15]. L'image de cette "protection allemande", bien spécifique, doit être complétée par l'abattage de chevaux malades (vraisemblablement malades pour les besoins de la cause) dont la viande était consommée. Les peaux rayées des animaux étaient particulièrement recherchées du fait de leur rareté par les musées et les collectionneurs. Malgré leur grande valeur, elles servaient à la confection des vêtements des gardes forestiers allemands.
Il ne fait aucun doute que les allemands volèrent ainsi, tout notre plus précieux matériel d'élevage de "konik Polski" (...). Avant tout, il faut de façon impérative, qu’entre dans la demande de revendication sur les biens volés par l’Allemagne nazie, soit pris en compte la restitution des animaux volés dans les années 1942-1944.
Le pillage, par les nazis du troupeau "konik Polski", dans la forêt de Bialowieza est un exemple classique, non seulement de la rapacité allemande[16] qui a accompagné ces pillages qui avaient pour finalité de s’approprier le bien d’autrui, il soulignait la malhonnêteté de la science allemande dépravée par les théories nazies. Cette science chercha à tout prix, en parasitant le travail des autres, à usurper un succès non mérité. Certes, il est indispensable de condamner ce type de pratique, ce qui est encore plus important c’est de s’y opposer à tout prix, et de revendiquer le retour des biens volés.
Tadeusz Vetulani Korespondencje "Jakie koniki polskie typu tarpana lesnego przetrwaly wojne w Puszczy Bialowieskiej" Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946
En janvier, le Parc National de Bialowieza a subi une perte importante. Le bison mâle "Purkul", âgé de deux ans et demi (il était né 15 mai 1943) a succombé. L'autopsie a démontré que le foie, le conduit cholédoque, les reins contenaient un grand nombre de parasites (notamment des douves). Il est à craindre que les autres bisons soient parasités. (...). Il faut souligner que, déjà en 1932, le Dr. Feliksiak mettait en évidence l’éventualité de ce danger, après la découverte de la présence dans la réserve d'un mollusque Glabra trunculata, un hôte intermédiaire de la douve du foie Fasciola hepatica. A partir des suggestions faites par ce spécialiste, des barrières isolant la réserve de bison furent déplacées et le terrain amélioré. De plus, il avait été programmé le déplacement de la réserve de bisons dans un lieu plus sec. Malheureusement la guerre a anéanti tout ces efforts et aujourd'hui nous sommes confrontés à une tache difficile pour sauver le troupeau.
Ochrona zwierzat, anonimowy komunikat "Nowy ubytek w stanie zubrow bialowieskich" Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946
Une commission d’experts déléguée par le Ministère des Forêts a été chargée à Bialowieza d'examiner l'état de la réserve de bisons et de faire un rapport sur les causes de la mort du bison "Purkul". En se basant sur les résultats des examens des organes internes, la commission a fait savoir, qu’indépendamment de la présence de parasites (parmi lesquels la douve Fasciola hepatica), la cause directe de la mort peut être attribuée à des changements pathologiques dans les organes digestifs. Ce décès est directement lié à une alimentation insuffisante et défectueuse pendant la période cruciale du développement de l'animal né en 1943.
Les autres spécimens, nés en 1943-1944 montrent des symptômes de cachexie. Ceci concorde avec les témoignages des gardiens, qui confirment que pendant cette période l'état des soins et de l'alimentation des bisons laissaient particulièrement à désirer. Les moyens nécessaires seront pris pour tenter de remédier à cette situation avec pour tâche, celle de sauver les bisons (...).
Komisja rzeczoznawcow w rezerwacie zubrow bialowieskich Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°1/2 1946
Les allemands ont prélevé et "envoyé" en Allemagne trois bisons de Niepolomnice, un bison mâle de Smardzewice et un bison mâle du Parc Zoologique de Varsovie [17]. (...)
La déplorable orientation de la politique allemande, sur la protection des bisons a eu des répercussions sur la totalité du troupeau. Les allemands étaient dans l’incapacité d’exercer une surveillance adéquate et la nourriture des animaux était considérablement réduite. Ceci a eu comme conséquence d’occasionner des faiblesses et des retards de croissance sur les jeunes sujets, ceci porte à penser qu’adultes, ils seront peu féconds. Les nazis prirent des libertés avec les règles de fécondation établies à partir des livres généalogiques, ce qui ne manqua pas d’entraîner des problèmes et des retards de reproduction.
Jan Zabinski "Z historii zubra w Polsce "Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°5/6 1946
Sur le territoire du Parc National de Bialowieza a été retrouvé dernièrement 15 lieux qui servaient aux exécutions massives de citoyens polonais, pour le moment le chiffre avancé est de 200 personnes environ assassinées par les allemands[18]. La direction du Parc National a dressé un mémorial sur ces sites et érigé des pierres tombales.
Z Bialowieskiego Parku Narodowego "Chronmy Przyrode Ojczysta, Tymczasowy Organ Panstwowej Rady Ochrony Przyrody n°5/6 1946
Voici le témoignage d’un spécialiste américain de la Division of Forest Influences, U.S. Forest Service, Washington, qui visita la forêt de Bialowieza juste après la guerre.
La chancellerie du Reich à Berlin se tenait constamment informée à tout ce qui touchait aux bisons. Hitler, demanda qu'une partie des animaux soit capturée et envoyée à Berlin. Il est difficile de connaître avec exactitude le nombre d’animaux qui furent expédiés en Allemagne. Les chiffres les plus souvent cités sont variables ce sont peut être cinq et probablement plus, une dizaine qui partirent en un seul envoi. Les polonais pensent quant à eux, qu’il faut retenir le chiffre de vingt-cinq animaux[19], qui au total furent expédiés en Allemagne durant l'occupation.
E.N. Muns 1948 Further note on the European Wisent Journal of Mammalogy Vol. 29, No 3
Quelles ont été les conséquences des mesures nazies sur l’environnement ?
Quel était donc l'impact réel des mesures prises par les nazis ? Quelles ont été les répercussions de cette protection totalitaire de la nature sur la forêt de Bialowieza ? Les premières conséquences, quasi immédiates mesurables, ont été de mettre en péril une opération unique dans l'histoire, celle de la reconstitution d’une population de bisons. Une partie des animaux a été volée, ceux qui demeurèrent sur le terrain étaient sous-alimentés, malades, atteints de parasitose. La première responsabilité en incombe notamment, au rejet de la politique mise en place avant-guerre par les Instances Polonaises de protection et de revalorisation des milieux naturels.
L'importance des pertes de données scientifiques[20], est une autre des conséquences des pratiques de Heck. Les désastres occasionnés par cette "protection" ne se sont pas limités aux bisons. Le troupeau de "konik Polski" a été presque entièrement volé par Heck. L’une des pratiques de l’administration nazie consistait, à offrir ces animaux souvent uniques, en tant que cadeau personnel destiné à récompenser les hauts fonctionnaires du NSDAP, les "konik Polski" ont été également décimés par le braconnage des gardes forestiers allemands. Ce qui est d’un point de vue naturaliste regrettable dans cette affaire, c'est qu’elle s’est déroulée à une époque, où l’on commençait à mesurer de façon significative les premiers résultats de la politique polonaise, mise en place avant-guerre, qui portait sur la réintroduction des ours et des élans dans la forêt de Bialowieza. Ces efforts, furent totalement anéantis par la machine administrative nazie. Heck et ses acolytes, réussirent à détruire cet immense travail de plusieurs décennies, en trois années de "savoir faire écologique nazi".
Une étrange conception de "la protection de la nature"
"La biologie et la médecine nazies sont souvent citées comme l’exemple typique des pires exactions de la science moderne ; il est cependant étonnant de constater que jusqu'à présent très peu de recherches ont été effectuées sur les dérives de la biologie dans l’Allemagne sous le national-socialiste"[21]. Nous trouvons intéressante et juste cette remarque d’un spécialiste de l’histoire des sciences. Pour diverses raisons, les historiens des sciences et les biologistes ont quelques réticences à traiter cette période noire de la science allemande[22]. Ceci est d’autant plus curieux, que les expérimentations criminelles des médecins nazis, ainsi que l'eugénisme sont relativement bien étudiés. En revanche, les autres aspects de la "théorie des races" et de la conception de la "dégénérescence des races", n'ont pas fait malheureusement l'objet de recherches. Il n'existe que peu de travaux, consacrés aux conceptions raciales nazies qui ont un rapport avec la protection de la nature[23], l'histoire de la domestication des animaux, celles des théories explicatives de l’extinction des espèces ou même celles qui touchent aux conceptions nazies de la biogéographie n’ont jusqu'à présent, fait l’objet d’aucune recherche. Pourtant, parmi ces théories "scientifiques" prônées par le 3ème Reich, certaines mériteraient d’être étudiées, comme celle de "la disparition des ours de caverne, des suites de la dégénérescence raciale provoquée par l'autodomestication" (sic).
Les conceptions absurdes et dépourvues de toute logique, n’étaient pas hélas uniquement des théories d’école. Elles généraient des conséquences tragiques, lors de leurs applications pratiques. Trois mois après le début de l'occupation de la Pologne, "les experts" nazis de la "protection de la nature" dévoilèrent lors d’une conférence à Poznan, leur plan d'aménagement du territoire. Celui-ci prévoyait que "le paysage", devait être dans un proche avenir "nettoyé" des éléments "étrangers à la race supérieure". Il ne fut réalisé que dans un seul district de la Pologne occupée, celui de la région de Zamosc.
Cent mille personnes furent déportées et les enfants enlevés à leurs parents. Les enfants sélectionnés devaient répondre à des critères raciaux précis et être très jeunes afin de ne plus se souvenir de leurs origines et de leurs parents. Les autres, étaient assassinés à l’aide d’injections de phénol dans le cœur faites par des "médecins" allemands. Pour les historiens,[24] ce plan était l’une des composantes de la politique de "protection de la nature". Il est faux de penser que le rôle de Heck, dans le mouvement nazi n’a été que subalterne, et que celui-ci s’est limité à élaborer une supercherie scientifique et à piller les collections des pays occupés. Il est plus qu’évident qu’il a été l'un des auteurs du plan d'Ostpolitk nazi.[25]
[1] Guintard Claude, Aurochs reconstitué, un descendant du Bos primegenius ? dans Aurochs, Le retour, aurochs, vaches et autres bovins de la préhistoire à nos jours Ouvrage collectif Lons-le-Saunier, 1994 p.194
[2]En Hongrie, l'introduction du "faux-aurochs" est en concurrence avec trois brouteurs traditionnels, notamment le boeuf des steppes hongroises, l'une des races utilisées par Heck pour faire ses "faux-aurochs", ce projet d’introduction pour ce pseudo-aurochs existe par exemple pour le Parc National de Hortobagy. Ce qu’il est intéressant de souligner, c’est que pour la sauvegarde des races autotochtones rustiques, ce pays est dans l’obligation de faire appel à l'aide internationale, et de demander que ces animaux fassent partie du quota prévu par l’Union Européenne "nature conservation boeuf", (voir l’article Mihaly Végh Wetland conservation in Hortobagy National Park, Hungary in The Ramsar Library "Towards the Wise Use of Wetlands. Edited by T.J. Davis (Ramsar, 1993) file 14: case study, Hungary).
[3]World Watch List for Domestic Animal Diversity FAO United Nations (édition de 1993 par Ronan Loftus et Beate Scherf) cite 80 races bovines menacées de disparition.
Inventaire des animaux domestiques en France (Alain Raveneau, Editions Nathan 1993) cite 24 races françaises disparues ou très rares. Aucune de ces races ne jouit pas d’un intérêt médiatique comparable à celle du "faux-aurochs".
[4] Nous espérons que monsieur Spielberg, ne nous en voudra pas de comparer son travail sérieux et honnête, sans prétention scientifique à cette supercherie.
[5] Bramwell Anna, Ecology in the 20 century A history Yale University Press New Haven and London, 1989
[6]voir l’article Brune ou verte, elle court, elle court, l'idée de nature dans le numéro de St. Hubert de mai et juin 1998
[7]Pour discréditer l'activité du National Biological Survey à plusieurs reprises, les opposants à ce courant écologiste ont usés de comparaisons sans aucun fondement pour tenter des les assimiler aux mouvements nazis comme à celui de "l’eco-Gestapo" ( voir The political education of a biologist H. Ronald Pulliam in Wildlife Society Bulletin 1998 26 (3)
[8] Hornaday W. 1914 Wild life conservation in theory and practice New Haven, Yale University Press London Humprey Milford, Oxford University Press, et Our Vanishing Wild Life et The American Natural History
[9] Muns E.N. 1948 Further note on the European Wisent Journal of Mammalogy Vol. 29, No 3
[10] journal du parti nazi, spécialisé dans l’antisémitisme et dans la dénonciation des mouvements anti nazis
[11]Pour plus de détails sur ces "étranges conceptions de la protection de la nature" voir chapitre Nazi nature protection? ? dans l'article de Weiner D. 1992 Demythologizing Environmentalism. Journal of the History of Biology vol. 25/3
[12]Ley W. Will the wisent survive the war? Philadelphia 2 1940 ou Kenig R. Has the wisent survived the second world war? Natural History mars 1946
[13]collection particulièrement précieuse, son initiateur était le professeur Joseph Paczoski, l’un des plus importants fondateurs de la phytosociologie.
[14]dans sa version originale ce résultat est présenté à l’aide d’un tableau
[15] placée sous "tutelle allemande" et sous la haute direction de Heck (P.D-J.A)
[16]Nous avons traduit littéralement "niemiecka zachlannoscc" mais cette formulation est pour nous trop généraliste et injuste envers une partie de la population allemande. Ces propos soulignent bien les ressentiments des victimes; Roger Heim, grand naturaliste français, professeur et directeur de MNHN, déporté à Mathausen écrivait que les allemands "restent bien primitifs sous le rapport de l'esprit". Il considérait même que les allemands "restent marqués, dans leur essence par un instinct qui les porte vers la souffrance, vers la destruction, vers la mort". (R. Heim La sombre route, Librairie José Corti, Paris 1947
[17]Plusieurs centres scientifiques ont participé en Pologne avant la guerre à la restitution de la population sauvage de bison. A cet effet, une nouvelle réserve de bisons a été créée à Niepolomnice en 1936. Les allemands ont pillé non seulement les biens du Parc National de Bialowieza notamment les konik polski, mais pratiquement la totalité de tous les centres d'élevage de bison d'Europe. Ces pillages sans précédents dans l'histoire ont été confirmés par les autorités alliées, mais également dans les publications d'après guerre de naturalistes allemands comme Mohr E. 1949 Development of the European Bison During Recent Years and Present State in Journal of the Society for Preservation of the Fauna of the Empire. New Series LIX
[18] Ce chiffre ne fait état que des premières découvertes dans les premiers mois d’après guerre et uniquement sur une surface d’environ 15% de la forêt de Bialowecza. Bien évidemment ce chiffre a considérablement augmenté au fur et à mesure des découvertes faites sur l’étendue du site.
[19] En réalité c’est surtout les konik polski, qui faisaient l’objet de vols à Bialowieza, les bisons étaient surtout volés dans les autres centres d’élevage (P.D -J.A).
[20]Zabinski J. Conclusions obtained from twenty years of bison breeding in Poland in Journal of the Society for Preservation of the Fauna of the Empire. New Series LIX
[21]Weindling P., 1990. Les biologistes de l'Allemagne Nazi: Idéologues ou Technocrates? dans Histoire de la Génétique Pratique, Techniques et Théoriessous la Direction de J-L Fischer et W Schneider A.R. P. E. M Editions Sciences en Situation
[22]voir aussi Thuiller P. Darwin and C°. Editions Complexe 1981
[23] Voir Dominick Raymond ,1987 The Nazis and the Nature Conservationist. Historian 49 et Groening G. et Wolschke-Bulmahn 1987 Politics, Planning and the Protection of Nature: Political Abuse of Early Ecological Ideas in Germany 1933-45. Plann. Perspect, 2 et Biehl J. 1994 Ecology and the modernization of fascism in the Germany ultra-right. Society and Nature n.5
[24]Weiner D. 1992 Demythologizing Environmentalism. Journal of the History of Biology vol. 25/3
[25]voir Heck L., 1942 Behördiche Landschaftsgesaltung im Osten, dans Neues Bauerntum mit Landbaumeister 34 Belin (cité d'après Artingen K., Lutz Heck: Der "Vater der Rominter Ure": Einige Bemerkungen zum wissenschaftlichen Leiter des Berliner Zoos im Nationalsozialismus. Bär von Berlin 43/1994)