Je suis partout du n° 10 du 31.01.31 p7
S’il existe une spécialité ou les bolcheviks sont passés maître, c’est bien la propagande. La parole, la presse, la peinture, le théâtre, la littérature tout est mobilisé en URSS pour répandre la bonne parole marxiste.
En parlant du cinéma soviétique, il serait injuste de passer sous silence les remarquables films documentaires, réalisés dernièrement. Des hommes de talent, dévoués à leur art, ont réussi à saisir la vie mystérieuse de la Taïga sibérienne (Le long de l'Altaï du Nord) ; à fixer les moeurs des peuplades inconnues (Une peuplade perdue, film sur la Karagassia), à montrer ce que l'homme peut obtenir, dans sa lutte contre la forêt (Tac jnik), et dans l'élevage des animaux de l'Extrême- Nord (Le Renne, l'Elevage du Renne). Parfois, le sujet est légèrement romantisé, dans l'esprit de « Tchang » ou de « Moana » ; et alors, nous avons le beau film d'lgdenbou, joué par les naturels de l'Extrême-Orient sibérien. On ne peut s'empêcher de s'incliner devant le courage de ces metteurs en scène, obligés de travailler sous la férule des camarades, dans des conditions matérielles et morales les plus pénibles.
Le film soviétique souffre certainement des défauts communs à toute l'industrie socialisée : désordre, bureaucratie, mauvais rendement, exploitation déficitaire. Des négatifs de nouveaux films disparaissent mystérieusement, perdus dans les innombrables bureaux du Soïouzkino; des metteurs en scène reçoivent des tronçons de pellicules qu'ils n'ont jamais tournées et dont on est obligé de rechercher les propriétaires par voie, des journaux ; il se produit un gâchis, une perte de métrage, des dépenses inutiles que les journaux soviétiques ne cessent de dénoncer. Et pourtant, reconnaissons-le, même dans ces conditions désastreuses, certains résultats, obtenus en, Russie dans l’industrie cinématographique, sont des fils intéressants.
Que restera-t-il du film soviétique lorsque la sanglante tyrannie bolchevique ne sera plus qu’un mauvais rêve ? Quelques pellicules de propagande que l’on montrera encore dans une centaine d’années, à titre de curiosité historique.....
Je suis partout du n° 11 du 07.02.31 p11
Le correspondant du Times à Los Angeles envoie un compte rendu sur le nouveau film de Charlot, Les Lumières de la ville, dont la présentation a déchaîné à Hollywood un enthousiasme délirant.
M. Charlie Chaplin, vient de faire un suprême effort pour rendre au film muet sa place au soleil. Si, après deux ans de travail, le résultat n'est ni supérieur, ni inférieur à ceux qu'il avait obtenus dans ses dernières œuvres, cela ne prouve nullement que M. Chaplin n'ait pas atteint son but.
Les ovations délirantes de ses camarades d'Hollywood et du public idolâtrent de Los Angeles ne sont évidemment pas des gages certains d'un succès mondial, mais le génie de M. Chaplin, en tant qu'acteur, et le fou rire qui s'est emparé de la salle prouvent certainement que Charlot et ses pairs (s'il en a) peuvent sauver l'art de la pantomime sur l'écran au moins au même degré que des génies isolés ont pu le prolonger sur la scène.
L'intrigue des Lumières de la ville est naturellement tout à fait dans la manière de Charlot ; c'est un échafaudage de farces plus ou moins invraisemblables. Portant son costume habituel de vagabond et son inévitable chapeau melon, Charlot devient amoureux d'une petite marchande de fleurs aveugle qui se tient à un carrefour tumultueux d'une ville américaine.
Un jour, il rencontre un Américain milliardaire typique, avec lequel il s'enivre dans un club de nuit. Il l'amuse, lui enlève ses idées de suicide et devient son ami intime. A cela près que, lorsque le Crésus est dans son état normal, il ne se souvient ni de son compagnon, ni de ses expéditions nocturnes. Dans un de ses moments de générosité, l'Américain donne à Charlot 1.000 dollars qui lui serviront à payer l'opération qui fera recouvrer la vue à la petite aveugle....
Il y a aussi quelques minutes joyeuses lorsque Charlot, pendant une grande soirée musicale, avale un sifflet et que, saisi d'une quinte de toux, il attire deux chiens, aussi gentils qu'incongrus, au milieu du public élégant.
Une autre scène extrêmement comique nous fait assister au combat que Charlot, pour gagner la main de la jeune fille, livre à deux boxeurs redoutables, un nègre et un blanc.
Pourtant, on retrouve aussi les sentiments charmants et émouvants du Charlot que nous avons connu et aimé dans La Ruée vers l'or. La petite aveugle le prend pour un milliardaire, et Charlot se garde de la détromper.
Je suis partout du n° 13 du 22.02.31 p7
Dernièrement, au cours d'un banquet politique, à Philadelphie, le sénateur américain Tusker Oddy fit entendre de rudes paroles sur lesquelles les gouvernants des puissances feraient bien de méditer. L'U.R.S.S. a institué le plus formidable et le plus terrible système d'esclavage qui ait jamais existé », déclara le sénateur Oddy. « Si les autres pays continuent à acheter à l'U.R.S.S. les produits d'un travail d'esclaves, l'organisation communiste en recevra un tel essor qu'une nouvelle guerre mondiale deviendra inévitable. Les bolcheviks essayent d'instituer l'esclavage partout. Il n'est pas tolérable qu'une partie de la population soit libre et l'autre croupisse dans l'esclavage ». Tous les pays devraient le comprendre et s'opposer à ce que les bolcheviks continuent à dévaliser et à opprimer la population qu'ils ont asservie... »
D'autre part, la commission présidée par le sénateur américain Fisch est arrivée aux mêmes conclusions, constatant que seul, le système des travaux forcés » en Russie permet aux Soviets d'inonder l'étranger et notamment les Etats- Unis de leurs produits offerts à vil prix. On sait que le gouvernement des Etats-Unis a suivi cette suggestion et que des mesures ont été prises par lui pour interdire l'importation des bois de Russie.
.......Ainsi, les Américains, qui savent admirablement unir la morale et les affaires, ont constaté qu'il n'est nullement indifférent pour l'économie générale du monde qu'un grand Etat puisse vivre en dehors des conditions civilisées, sans droit, sans justice, sans liberté et que cette situation présente de très sérieux dangers, auxquels il n'est que temps de faire face. Travail forcé, dumping, baisse des prix, chômage, misère, voilà une série d'étapes par lesquelles les Soviets espèrent désorganiser la situation économique des Etats capitalistes, pour y semer la haine et la ruine qui doivent aboutir au bolchevisme. Ceci, tous les esprits rassis l'ont compris. Quelqu'un a dit de l'Angleterre que si elle est forte, c'est que les honnêtes gens y sont aussi courageux que les coquins. Les honnêtes gens s'y sont indignés comme de l'esclavage qui sévit en Soviétie, mais ils ne se sont pas endormis sur leur indignation. Une ligue pour la défense du travail a été aussitôt créée par le commandant Bellers, de hautes personnalités y ont adhéré, le duc d'Atholl, le vicomte de Brentford, sir Pohert Horn, le général Nox, lord Melchett, sir Hilton Young. La conscience de la nation britannique est indignée, déclare ce dernier au correspondant du Morning Post. Notre peuple se déshonorera en continuant à acheter des produits d'un travail d'esclaves. Aussi longtemps que nous soutiendrons le commerce de l’U. R. S. S., nous serons les complices de ceux qui oppriment la Russie. ».......
Si, dans les premières années de leur pouvoir, les Soviets recrutaient ce misérable troupeau parmi les anciens « bourgeois », il n'en est plus de même maintenant. Le bourgeois, l'intellectuel, décimé, massacré, émigré en partie, n'est plus représenté en Soviétie que par une poignée de « spetz » (spécialistes), réduits au rôle de très humbles serviteurs des commissaires bolchevistes. C'est donc à la masse paysanne et ouvrière que les Soviets sont obligés de s'attaquer pour sauver leur système ; le Progrès de Dijon a publié dernièrement le récit d'un ouvrier français revenu du paradis socialiste. Il y raconte entre autres, une scène poignante ; Les ouvriers d'Alexandropol, harassés et affamés, furent conviés à assister à un film de propagande, accompagné du discours d'un orateur venu de Moscou. « Les ouvriers l'entendaient bien dire qu'ils étaient heureux, mais ils n'y croyaient pas. Pourtant, ils n'osaient réagir, car ils se savaient surveillés et savaient que chaque manifestation de leur mécontentement se transformerait en plusieurs années de prison, de travaux forcés ou de déportation en Sibérie. »
Et c'est l'espoir de ce régime qu'on fait quotidiennement miroiter aux yeux éblouis de l'ouvrier français.
JACOBY.
Je suis partout du n° 14 du 28.02.31 p7
Depuis quelque temps Maxime Gorki parle et fait beaucoup parler de lui. Ses manifestations bruyantes et ses articles en faveur des gens de Moscou et pour la défense de leur manière de faire ont attiré une fois de plus sur lui, l'opinion mondiale.
Ainsi, tout dernièrement, le journal berlinois, la Deutsche Allgeineine Zeitung s'étonnait que Gorki, qui a pris sur lui d'être le chef de la propagande bolcheviste à l'Étranger et de peindre en rose tous les méfaits des bourreaux moscovites » préfère au paradis soviétique l'Italie fasciste qui a une si mauvaise presse dans l'U.R.S.S. Gorki, remarque ce journal, essaie de justifier sa présence en Italie par son mauvais état de santé. Cependant il existe en Crimée et au Caucase des endroits dont le climat est aussi doux que celui de Sorrente.
Eu vérité, la raison pour laquelle Gorki décline toujours l'invitation de Staline de venir dans l'U.R.S.S. et continue de rester à Sorrente, c'est que sous la dictature de Mussolini il se sent plus libre et en plus grande sécurité que sous celle de Staline.
Maxime Gorki, il faut le dire, a parfaitement conscience de la fausse position dans laquelle il se trouve placé aussi bien vis à vis de ses amis de Moscou que de ses admirateurs de l'étranger. Aussi, il essaie actuellement d'en sortir ou tout au moins de l'atténuer par des « rétablissements laborieux ». D'où cette avalanche de lettres qu'il adresse à la presse soviétique et dont le ton est d'une platitude et d'une servilité qui n'ont de pareils que le morne ennui qui s'en dégage. Voici, par exemple, quelques passages de sa dernière lettre que publie la Pravda et qui est adressée aux camarades littérateurs et au conseil de rédaction de la Presse soviétique.
« Camarades ! Vous vivez sous de nouveaux ciels, sous des ciels où volent de grands oiseaux faits de bois et de fer par vos propres mains. La conquête du ciel est considérée comme le triomphe de l'esprit humain. C'est parfaitement vrai. Mais à notre point de vue vous êtes en train d'accomplir quelque chose d'encore plus grandiose : vous avez déjà conquis presque toute la terre et vous la conquerrez bientôt tout à fait grâce à l'énergie de votre pouvoir, grâce à votre intelligence. Vous la délivrerez pour toujours des griffes rapaces, de là propriété individuelle. Vous détruirez le terrain qui fait naître continuellement les exploiteurs du travail d'autrui. En vérité vous faites une nouvelle terre, plus féconde, plus clémente à l'homme, car vous savez très bien, qu'elle exige des soins continuels, une continuelle attention, comme un organisme vivant qui nous nourrit et qu'on ne petit exploiter aussi bêtement et d'une manière aussi, rapace qu'a été exploité votre travail par vos maîtres d'hier. Entre vos mains je vois la science, la plus haute expression de l'intelligence humaine en absorbant toutes ses données, vous transformez véritablement la terre, aussi vite que vous en faites surgir d'immenses fabriques et de colossales usines ».
Je suis partout du n° 15 du 07.03.31 p.5
De plus en plus nombreux deviennent les romans qui traitent du problème (si ce n'est, toutefois, un dilemme) d'Israël chez les nations. Dans les livres des auteurs juifs, un Jacob Wassermann en Allemagne, un Ludwig Lewisohn aux Etats-Unis, l'invention romanesque ne sert qu'à introduire un poignant examen de conscience, qu'à justifier une profession de foi. Wassermann, qui écrivit, à ses débuts, les « Juifs de Zirndorf », évocation du grand rêve messianique de la race, parvient à résoudre l'antinomie de sa double nationalité : il aura parcouru son chemin à la fois comme Allemand et comme Israélite. Ce conflit des deux traditions, des deux caractères ethniques et natures morales, est présenté dans « Lévy », de M. J.-R. Bloch, comme une crise passagère ; son histoire nous conduit des jours troublés de l'Affaire jusqu'à la veille de la guerre, où les Juifs ne formeront plus, selon le mot de Barrès, qu'une des familles spirituelles de la France. Un Lewisohn, par contre, fait, avec amertume, ses adieux à la civilisation chrétienne ; pour se réfugier où ? Il est détaché des rites ancestraux, ne croit pas au retour dans la Terre promise.
il lui reste « l'île intérieure »; un territoire non géographique, mais intellectuel, la sphère idéale du judaïsme, l'héritage indélébile d'une manière d'être et de penser nationale. Cette thèse de l'originalité foncière, inaltérable du peuple élu (conception à double tranchant, car elle sert, à la fois, à glorifier Israël et à l'exclure de la vie des nations) est illustrée, du côté chrétien, par le célèbre cycle des frères Tharaud, explorateurs minutieux des ghettos de Galicie et autres royaumes de Dieu ; ils peignent, avec une sympathie compréhensive, la sainteté sordide, la poétique misère des exilés à l'ombre de la croix ; mais ils s'élèvent dans un âpre pamphlet contre l'action révolutionnaire et destructrice des Juifs dans la Hongrie de Béla Kun.
André LEVINSON.
Je suis partout du n° 15 du 07.03.31 p 7
La presse soviétique ne brille ni par son esprit, ni par sa gaîté, ni par sa bonne humeur. Elle est terriblement sérieuse, pleine de fiel et d'arrogance quand elle parle des prétendus pays capitalistes, et pleine de suffisance quand il s'agit de faire étalage des mérites de l'Etat communiste. Elle affectionne les énormes manchettes et les rédige toujours sur un ton impératif : « Il faut faire ceci ou cela ; il faut abolir ou instaurer telle ou telle chose ; il faut destituer ou punir ceux-ci ou ceux-là », et ainsi de suite. Au surplus, si la presse soviétique reflète fidèlement les vues du gouvernement et son ingérence dans la vie politique, sociale et économique du pays, si elle donne un tableau assez complet de l'activité extérieure, officielle, si on peut s'exprimer ainsi, des différentes institutions soviétiques et organisations communistes, elle ne donne, par contre, aucune idée de ce qu'est l'existence journalière du peuple russe, de ses mœurs, de son état d'esprit, de ses plaisirs et de ses peines. Aussi bien, tout ce qui pourrait renseigner le lecteur sur ces questions est soigneusement banni des journaux moscovites : pas de faits divers, pas de comptes rendus de séances de tribunaux et, sauf une ou deux exceptions, pas même de chronique de la vie sociale, artistique, littéraire ou théâtrale. Bref, on voit qu'on a tout fait, en U.R.S.S., pour différencier les journaux soviétiques de la presse bourgeoise, sauf supprimer les annonces dans certaines feuilles à gros tirages, telle, par exemple, que la « Vétchérnya Moskva ». Eh bien ! ces petites annonces sont le « Sésame » qui ouvre la porte sur la vie domestique et privée des habitants de l'U.R.S.S. ; elles nous initient tout ce qu'on a voulu nous cacher : les misères, les appétits, les vices, les travers et les aspirations de la masse moscovite, qui ne diffèrent absolument en rien de ce que nous voyons partout ailleurs et qui restent éminemment humains.
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Mais voici quelque chose de nouveau, de spécifiquement moscovite : « la rubrique des reniements », si on peut s'exprimer ainsi. Chaque annonce de cette rubrique commence par la même phrase stéréotypée : « Je (un tel) déclare que j'ai rompu avec mes parents et que je vis depuis (suit la date) d'une manière indépendante ». Que veulent dire ces annonces quelque peu troublantes et quels drames cachent-elles ? Oh ! rien de particulier. Ces annonces émanent, pour la plupart du temps, de jeunes personnes des deux sexes qui, étant devenues « communistes », renient leurs parents « bourgeois »... pour obtenir la carte d'alimentation que les autorités refusent aux ci-devant, mais aucun drame familial dans le style des compositions de Greuze ne précède ordinairement ces ruptures. Il arrive même bien souvent que ces reniements sont fictifs, et les annonces qui les enregistrent sont publiées d'un commun accord entre parents et enfants. Car les enfants, devenus ainsi des « purs », peuvent aider matériellement leurs parents. On se débrouille comme on peut