Connaître hier pour tenter de prévoir demain…..
Je suis partout n° 1 du 29.11.30 p.1
La Bourse de Paris et les krachs
La Bourse de Paris n'a pas connu, depuis la guerre, pareille secousse ni pareille crise. Depuis la faillite du coulissier Paquement on discutait en termes nobles sur la meilleure façon de réorganiser le marché en Banque par la fusion des deux syndicats du terme et du comptant. Les circonstances actuelles donnent à ces débats une saveur amère, et sans préjuger de ce que pourra être la liquidation de demain, le bilan du mois est déjà assez joli : démission d'un agent de change, faillite de treize maisons de coulisse, dépôt de bilan par quatre banques provinciales (dont la banque Adam, depuis renflouée), faillite et arrestation de deux agents de change de Bordeaux et enfin effondrement des valeurs contrôlées ou créées par M. Oustrie.
C'est ce dernier événement qui a, de proche en proche, entraîné tous les autres : On ne liquide pas impunément un groupe de titres dont la valeur nominale représentait plus d'un milliard de francs sans porter atteinte à l'équilibre de la place.
Je suis partout n° 1 du 29.11.30 p.3
Allemagne :Evolution des partis Glissement à droite. La majorité Brüning compromise.
Le 8 novembre, à, Hanovre, après un important débat, le Parti Démocratique a cessé officiellement d'exister. Il a lui-même prononcé sa propre dissolution pour procéder immédiatement à, la constitution définitive du Parti d'Etat dans lequel il a pris place.
L'opinion et la presse apprécient de très diverses façons cet événement qui aura peut-être des conséquences graves dans la vie politique du Reich et qui, en tout cas, est très significatif à plusieurs égards. Le Parti Démocratique représentait jusqu'aux dernières élections la seule fraction parlementaire absolument républicaine, en dehors de la sociale-démocratie, on lui accordait une grande importance du point de vue international.
A la veille de la consultation électorale, la majorité de ses chefs décidèrent d'aller à la bataille non plus seuls, mais en formant une union avec diverses autres organisations dont la principale était l'Ordre des Jeunes Allemands. Chaque association gardait provisoirement son autonomie mais entrait dans une liste commune intitulée liste des Partis d'Etat. On avait pensé dans les milieux de la bourgeoisie républicaine s'opposer ainsi avec plus de chances de succès à la double vague de« radicalisme » qui était dans l'air et que l'on pressentait ; on pensait garder de cette façon une partie des électeurs ...
Je suis partout n° 1 du 29.11.30 p.3
Les nouveaux succès des nationaux-socialistes
On a vu que, contrairement à ce que l’on prévoyait, le parti de Hitler poursuit ses succès sur le terrain électoral..... ses gains sont considérables, tandis que tous les partis, à l'exception des communistes, perdent beaucoup de terrain ; les sociaux-démocrates eux-mêmes sont en régression. Mais la presse est très réservée et très sobre de commentaires à ce sujet. Elle attend la rentrée du Reichstag, les premiers votes et la reprise de l'activité des racistes. Les journaux libéraux, centristes, démocrates ou socialistes, comme le Berliner Tageblatt, la Koelnische Zeitung, .... se contentent de dire que le peuple continue à voter pour les Nazis par déception et par désespoir. Mais on sent l'inquiétude percer dans tous les milieux. On pensait que Hitler avait fait son plein ; on s'aperçoit du contraire.
La Frankfurter Zeitung, depuis plusieurs jours déjà, indique discrètement qu'il faudra désormais tenir un très large compte de cette Combinaison nouvelle de l'esprit national et de l'esprit socialiste, dégagé des utopies marxistes, à laquelle une grande partie du peuple allemand — prolétaires et bourgeois — semble s'attacher de plus en plus. A. la suite des dernières élections, la Vossische Zeitung, démocrate, emboîte le pas et constate que l'État doit envisager la réforme ou la suppression du régime capitaliste, battu en brèche à présent par les foules qui suivent le parti de Hitler.
Je suis partout n° 1 du 29.11.30 p.6
Une semaine d’agitation en Espagne
L'Espagne traverse une période que nous pouvons considérer comme très grave, écrit dans le Secolo de Lisbonne un observateur voisin. Comment en douterait-on lorsque le général Berenguer, le chef du gouvernement lui-même, a déclaré officiellement à toute la presse : Je ne puis tolérer plus longtemps cet état d'alarme, cette situation d'agitation continuelle qui porte le trouble dans tous les foyers et dans tout le pays, entraîne la baisse de la peseta et nous met, devant le monde, dans une posture regrettable.
Le gouvernement provisoire du général Berenguer, qui se pose avant tout comme le redresseur des torts du Directoire, est nécessairement porté à relever ce que le général Primo de Rivera avait détruit, c'est-à-dire la vie constitutionnelle et parlementaire dans le libre jeu des partis. Mais précisément ces partis, déjà malades lors du coup d'État, ont été par la Dictature complètement désagrégée. Ils gisent en morceaux, sans programme, sans chefs et. même sans but....
Je suis partout n° 1 du 29.11.30 p.6
Maurice Chevalier - vengeur de Topaze
A bras ouverts à mains dormantes. Londres accueille Maurice Chevalier. C'est à lui, du reste, qu'il appartient de relever outre-Manche la gloire de la scène française, un peu ternie cet automne. Les pièces parisiennes, en effet, n'ont pas su plaire. On avait monté - et fort bien - Topaze au Globe et Chéri au Prince of Wales ; le public avait été soigneusement préparé, on en attendait miracle. Hélas ! l'une et l'autre comédie ont plongé dans un four noir et solide comme la Tour de Londres même "fous les journaux ont crié haro sur Topaze : Invraisemblable ; comique nul, inexistante psychologie. On admire beaucoup Colette en Angleterre, mais on n'y a pas compris Chéri, dont le sujet a profondément déplu. Le Sunday Times a déclaré ne pas voir pourquoi la Société du Théâtre avait jeté son râteau vers ce monceau d’ordures.
Il y a eu encore le gendre de M. Poirier qui a sombré dans la grisaille et le dédain.
Mais on compte sur Maurice Chevalier pour faire oublier aux Londoniens ces désappointements. Il ne troublera point l'idée traditionnelle que les Anglais se font de la gaîté française, voire de l'esprit français, que l'on veut brillants, scintillants, sautillants, légers et superficiels.
Je suis partout n° 1 du 29.11.30 p.7
U.R.S.S - Le grand complot du sabotage
On sait que l'ambitieux « plan quinquennal » dressé par les Soviets pour la socialisation intégrale de la Russie est en voie d'échouer, du moins partiellement, et cet échec est d'autant plus sensible que le plan a été imposé au peuple russe au prix de grandes souffrances. Aussi les autorités bolcheviques s'efforcent-elles de rendre responsables des erreurs, des retards et des épreuves soit les puissances occidentales, accusées de ténébreuses machinations et contre lesquelles vient d'être organisée une décade de propagande guerrière, soit les ingénieurs et les techniciens, accusés de sabotage contre-révolutionnaire.
Huit spécialistes, professeurs et ingénieurs, ont été mis en jugement. Les débats ont commencé mardi. Le fils d'un des accusés, Sitnine, a adressé aux journaux de Moscou une lettre ouverte dans laquelle il traite son père d'ennemi de la classe ouvrière et demande qu'il soit condamné à mort. (Poslednia Norosti, 25-11-30, journal démocrate imprimé à Paris.)
Les journaux soviétiques du 11 novembre 1930 ont publié in extenso (sur quatre pages) l'acte d'accusation du procureur général de l'U.R.S.S., Krylenko, contre MM. Léonide Ramsine, professeur et directeur de l'Ecole technique supérieure de Moscou ; Ivan Kalinnikof, professeur à l'Académie militaire aéronautique ; Victor Laritchef, ingénieur; Nicolas Tcharnovsky, professeur dans diverses écoles supérieures ; Alexandre Fédotof, professeur technologue ; Serge Kouprianof, ingénieur mécanicien ; Vladimir Otchkine et Ksenofonte Sitnine, ingénieurs, accusés tous les huit d'avoir participé à une organisation contre-révolutionnaire nommée « l'Union des organisations d'ingénieurs » ou « parti industriel » et d'actes criminels punis par l'article 58, paragraphes 3, 4 et 6 du Code criminel de R.S.T.S.R.
L'acte d'accusation du camarade Krylenko se termine par la conclusion suivante :
Ces personnes ont fait partie à différentes périodes des organisations créées pour détruire et saboter l'édifice économique de l'Union soviétique, pour ébranler le pouvoir soviétique et faciliter le rétablissement du pouvoir de la bourgeoisie. Ils ont poursuivi pendant une série d’années leurs destructions en se groupant à ces fins....
Ce par quoi ils ont commis un acte de haute trahison.
L'accusation prétend s'appuyer sur des déclarations écrites ou orales des inculpés.
Ainsi le professeur Ramsine a exposé que le but de l'offensive armée contre l'U.R.S.S. était de :
Doter la Russie, après la chute du gouvernement soviétique, d'une République démocratique bourgeoise. Dans cette question du choix d'un nouveau mode de gouvernement pour la Russie future il y eut des tiraillements ; on proposa diverses formes de gouvernements ; on proposa même une restauration monarchique. Cependant cette idée fut écartée pour la raison que l'ancienne dynastie est complètement disqualifiée et qu'il était fort scabreux d'en rechercher une autre. Au surplus, une restauration monarchique devait fatalement provoquer un grand mécontentement parmi la masse de la population. L'organe législatif de la future république devait être un Parlement élu au suffrage universel à deux degrés. Mais on aurait considéré qu'il ferait nécessaire d'instaurer immédiatement après le coup d'Etat une dictature militaire et de la conserver un certain temps, afin de consolider de cette façon, nouvel ordre des choses.
Pour arriver à ces fins les membres de l'Union des organisations d'ingénieurs prirent contact avec certaines personnalités haut placées de l'Europe occidentale de même qu'avec les industriels russes vivant à l'étranger. C'est ainsi que selon les dires de Ramsine il eut, en 1927, une entrevue, à Paris, avec Riabouchinski, l'ancien magnat de l'industrie textile russe.
De son côté, Kalinnikof déposa, le 10 octobre 1930 :
D'après ce que je sais, feu Paltchinski était en relation étroite avec le capital français et anglais. Rabinovitch s'était entendu avec la Pologne. Khrénnikof était dans d'excellents terme, avec la direction de la compagnie Vickers et Fédorovitch avec Leslie Urquhart de la Russo-Asiatic Consolidated.
Selon l'acte d'accusation, toutes ces institutions et ces personnage devaient subventionner la campagne de désorganisation de l'économie soviétique et préparer ainsi la pénétration militaire étrangère.
texte sélectionné et mis en forme par
Jean Aikhenbaum