L'union douanière austro-allemande, les revendications extérieures sur la Sarre, Eupen-Malmédy, sur les territoires polonais, la préparation de la conférence du désarmement, toutes les revendications concernant l'égalité absolue des droits avec les puissances ex-alliées, voilà un programme extérieur qui suffit, ces temps- ci, à retenir l'attention de tout bon citoyen du Reich.
La nouvelle constitution municipale de Berlin, la nomination du nouveau bourgmestre, les recommandations de la commission instituée pour combattre le chômage et la crise économique, la prise en considération des commandes soviétiques, autant de préoccupations ou de curiosités « intérieures, susceptibles d'intéresser ceux qui, bien rares, ne se soucieraient pas du relèvement extérieur de la patrie allemande...
Aussi, le mouvement de dissidence qui s'est produit dans les organisations nationales-socialistes risquait-il assez peu de porter sur le public germanique et sur l'opinion internationale...
Il faut cependant se souvenir. Le rêve passe... 14 septembre 1930, 107 députés hitlériens sont élus grâce à six millions et demi de suffrages. Dix ans avant ? Humble origine... Point négligeable pourtant, ni dénuée de beauté. Au milieu de la champignonnière de sociétés secrètes, d'associations militaires, de ligues nationalistes et de groupes armés, de la première Reichsbanner au Loup-garou, en passant par l'Oberland ou le Casque d'acier, sans oublier les Sainte-Vehme caractérisées par des exécutions sanglantes
.....A lire la presse allemande depuis quinze jours, on ne peut s'empêcher de songer à ces nuits d'énervement, à ces aubes de désespoir. Pendant tout le temps des négociations Hoover, les journaux de Berlin et de Francfort ont crâné, suivant un mot d'ordre évident, affectant une confiance solide et désintéressée, malgré les retraits massifs de capitaux qui écrasaient déjà la Reichsbank. Quand l'accord eut été conclu, on se crut même sauvé et naturellement on en profita pour chercher à la France mille chicanes, accompagnées de sourires provocants vers Rome, Londres et Washington. Le paragraphe final de l'accord, où la France se réservait de demander à l'Allemagne de ne pas mal user de l'argent qu'on lui laissait, fut un prétexte à défis, a menaces dont nous avons donné, la semaine dernière, des échantillons. Le 9 juillet, tout change : les feuilles qui avaient crié le plus fort enregistrent sans commentaires la démarche de M. de Seheen et déclarent que Paris est rassuré. C'est le premier signe de la débâcle : l'Allemagne, renonce à ses défenses avancées.
C'est que déjà les événements la débordent : M. Luther s'envole vers les capitales de l'Ouest, le moratoire Hoover n'a plus de sens : on l'oublie. ; ce ne sont plus six milliards, mais vingt, mais trente qu'on mendie. Le Président des Etats-Unis, devant une seconde prière, hésite et se dérobe. La presse s'affole. Plus de mot d'ordre, plus de ces articles calculés, masqués, chiffrés, qui s'étaient répétés pendant des jours et des jours. Mais une série de cris incohérents, où se-mêle la colère et la supplication, la haine de l'ennemi héréditaire et le regret des occasions d'entente perdues, la bonne foi et la mauvaise foi, la crainte et le désir des folies dernières. Au cours de cette semaine, les journaux allemands ont projeté sur l'âme allemande une lumière crue : c'était l'heure des messages en clair...
Il y a eu d'abord les malédictions : on nous a appelés Shylock, maîtres chanteurs. On a dénoncé en nous le sang des cruels Gaulois, fidèles à leur devise : Vœ victis ! La Deutsche Allgmeine Zeitung nous a même prêté ce sentiment, qui pourtant n'a de nom qu'en langue allemande, la « Schadenfreude » joie d'assister et de présider au mal d'autrui : « La crainte de noire catastrophe financière et de ses conséquences économiques et politiques est couverte, à Paris, par la Schadenfreude qu'on éprouve devant ce qui arrive à l'Amérique et à l'Allemagne. On se réjouit à voir le moratoire Hoover, ou du moins ce que la France en a laissé, incapable de sauver l’Allemagne, à voir l’Angleterre impuissante sans la France. On triomphe : la France tient la clef de la situation......
.... Aucun appel à la justice immanente ne peut rien changer au fait que la politique allemande se trouve présentement devant un Olmütz. Depuis quand marche-t-elle, avec l'assurance d'un noctambule, vers cet Olmütz ? La date est aisée à préciser : depuis que Stresemann est mort. Le rafraîchissement voulu de nos relations - avec la France, notre opposition systématique à Genève, lors des discussions préparatoires à la conférence du désarmement, enfin la folie de l'union douanière austro-allemande et, parallèlement, la construction du croiseur, les élections de septembre, la résurrection du Casque d'Acier, les poursuites pour trahison littéraire ... Aveugle aux signes avertisseurs qui pourtant ne manquaient pas, sourde à tout conseil, la politique allemande a marché, volé vers l'heure où une coalition invincible devait l'écraser, la réduire sans qu'un coup de feu fût tiré. Et, maintenant encore, visiblement, elle ne comprend pas ce qui est lumineux aux yeux de toute l'Europe... L'Olmütz du siècle dernier aura été peu de chose pour la Prusse au regard de ce que celui-ci sera pour la malheureuse Allemagne. Hier, nous avons entendu la fanfare de ceux — Hitler et Hugenberg — qui veulent tirer leur propre- victoire de la défaite nationale et qui ont tout fait pour amener cette défaite dont ils attendent leur triomphe... Olmütz va nous amener, au poste de chancelier, un demi-maniaque; il va nous apporter la ruine des droits ouvriers comme des libertés bourgeoises, l'effondrement économique et la rupture complète de nos relations internationales. Peut-être, après une brève période de fascisme, nous conduira-t-il à la révolution communiste. Une longue suite de défaites nationales va suivre la première ; ce sera, sur le peuple allemand, une misère telle que en regard, son état actuel aura la saveur du bien être.....
.... les socialistes de Londres, les fascistes de Rome et les capitalistes d’outre-Atlantique formaient devant les français et les allemands une sorte de ligue des neutres dont les sympathies n'allaient pas à la France. L'affaire de l'Anschluss, politiquement, ne marchait pas mal la France elle-même, incertaine risquait de passer, au printemps prochain, sous la férule de M. Léon Blum... Et voilà que la crise financière renverse ce château de cartes.
Choix de textes et mise en forme
Jean Aikhenbaum
Sources
Je suis partout 1931