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10 décembre 2014 3 10 /12 /décembre /2014 10:04
Le sculpteur Epstein

Cet israélite, venu un jour des Etats- Unis à Londres, y est aussi dépaysé qu'une sculpture nègre dans un salon Louis XVI.

Il faut croire, cependant, qu'il a trouvé, sur les bords de la Tamise un climat moins défa­vorable qu'on ne pense puisqu'il s'est hâté d'y revenir après un voyage récent aux rives de l'Hudson. Vingt-cinq ans de séjour l'ont accli­maté. Epstein est, avant tout, un bohème. Le bohème de génie, admis ou contesté, adoré ou exécré, selon les individus ou les milieux. Rien au monde ne pourrait l'amener, à mettre un faux-col, un smoking ou, un chapeau haute forme..

Si violemment critiquées que soient ses œu­vres du pays de l'art conventionnel, qu'il s'agisse de « Rima », de « Nuit », des bas relief ornant la gare du chemin, de fer souterrain, de la hideuse « Genèse », ce symbole de la maternité, Epstein, n’en est pas moins, à l'heure actuelle, le plus célèbre sculp­teur du monde.

 

 

Modigliani

Pour inaugurer leur nouvelle installa­tion, rue de la Boétie, MM. Marcel Bern­heim ont eu l'excellente idée de nous donner une rétrospective de Modigliani. Réparties dans des salles fort heureusement disposées pour la présentation des œuvres d’art, une trentaine de toiles, une vingtaine de dessins et une sculpture per­mettent au visiteur de se faire une idée juste de l'artiste dont la carrière fut trop brève. Arrivé à Paris à vingt-deux ans, il dut, a cause de sa médiocre santé, aban­donner la sculpture pour la peinture. Il mourut en 1920 à trente-six ans, après des années de lutte contre la misère.

Lorsque l'on examine les toiles expo­sées rue de la Boétie, on est tout d'abord surpris, que si peu du sculpteur, que fut premièrement Modigliani se retrouve dans sa peinture. Rien dans ces figures ne ré­vèle l'homme qui cherche à rendre le vo­lume dans l'espace, comme c'est le cas de  Segonzac ou de Derain. Nul souci,  non plus, de traduire les variations de la lumière, comme le fait un Bonnard. Si l'on veut chercher à Modigliani une parenté parmi ses contemporains, il n'y a guère que Dufy que l'on puisse citer. Mais Dufy est un coloriste autrement raffiné et subtil que l'Italien. La palette de Modigliani est limitée : il ne sort guère d'un petit nom­bre de tons, des roux, des ocres, des noirs, des bleus clairs et des roses.

Pour lui, un tableau est avant tout une surface plane et qui doit rester plane, ne comporter que deux dimensions, Le mo­dèle qu'il a devant les veux n'est qu'un prétexte à composer un équilibre de lignes souples.....

 

Né a Livourne, Modigliani etait un toscan : et ce peintre qui passa pour un ré­volutionnaire apparaît comme un héritier lointain mais authentique des Florentins du Quattrocento. Comme eux, il est avant tout préoccupé par le dessin...Par son goût pour une, peinture plane, pour une palette réduite et sans complications, il est un fresquiste qui par malchance ne trouva pas de murs. En lui, et non en Holman Hunt et en Burne-Jones, revit, l'esprit d'un Benozzo Gozzoli ou d'un Botticelli.

Il mourut à trente-six ans, épuisé par la misère, la maladie et l'alcool ; que se­rait-il devenu s'il avait vécut ? Prophétiser est facile, mais périlleux ; pourtant, il ne semble pas que l'œuvre existante de Modi­gliani contienne des germes de développe­ment. Une grande partie de l'attrait qu'exerce son art provient de son graphis­me, de ces arabesques élégantes et non­chalantes ; mais si le graphisme a sa séduction, c'est aussi, comme toute formule, une prison dont il  est malaisé de s'évader.

Comme il est arrivé pour Van Gogh, l'art de Modigliani a bénéficié du roma­nesque de sa carrière ; sa silhouette de peintre maudit, bohème et buveur, et sa fin tragique, ont illuminé son œuvre d'une lueur troublante. Mais ce genre de lumière n'est pas celles qui permettent de bien ju­ger les qualités véritables de la peinture. On a vu en Modigliani un grand peintre " méconnu ; c'était le placer trop haut. Il fut un peintre charmant, doué, et dont l'art réunit, en une mixture séduisante, la mo­dernité de son temps à d'anciennes et ins­tinctives traditions. Il aurait mérité que la vie lui fut plus douce et lui permit de travailler dans de meilleures conditions. Mais ce n'était pas un grand peintre.

 

Textes choisis et aménagés

Jean Aikhenbaum

 

SOURCES / presse 1931

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